Frère Denis Sibler (1920 - 2002)

C’est avec émotion et tri­stesse  qu‘a été accueillie la nouvelle du décès du frère Denis (Joseph Sibler), qui  s‘est éteint à l’âge de 81 ans, après une vie consacrée à Dieu, à l’enseignement, à l’art et à la culture.
 
Le défunt était né à Bies­heim dans le Haut-Rhin le 15 décembre 1920. Très tôt, il se sentait attiré par la vie religieuse et à 12 ans il est entré au Juvénat d’Ehl près de Benfeld. A 18 ans il avait fait ses pre­miers voeux et le 14 septembre 1947 ses voeux perpétuels. Après avoir obtenu ses brevets il avait débuté dans l’ensei­gnement à l’école des Frères à Muihouse de 1939 à 1940. Sous l’occupation allemande, en juin 1941, il avait décidé de rejoindre la zone libre de la France en passant clandestinement par la Suisse.
C’est à Solignac en Haute Vienne où était repliée l’Ecole Normale d’Obernai et à l’université de Toulouse qu’il avait poursuivi ses études tout en étant enseignant à Thiviers en Dordogne. Après la guerre, il a fait 6 mois de service mili­taire à Colmar et depuis 1946 il a enseigné, d’abord àMulhouse et puis au collège de Matzenheim. Il avait fait ses études universitaires à la Faculté de Lettres à Strasbourg et obtenu sa licence en lettres en 1953. A partir de cette date et jusqu’en 1983, il a assuré des cours de littérature française et de langue allemande au collège de Matzenheim.
Tout en étant enseignant, le frère Denis fut durant 20 ans directeur du juvénat de Werde et de Matzenheim. Il était Supérieur Général, de la Congrégation des frères de Matzenheim de 1973 à 1985. De 1971 à 1977 il était mem­bre du Conseil municipal de Matzenheim. Il a été nommé Chevalier dans l’Ordre National du Mérite en 1972 et a fêté son Jubilé d’or en 1988.
Frère Denis était aussi un artiste-peintre reconnu et maniait le pinceau avec dextérité.
Ecrivain, il a de nombreuses publications à son actif et taquinait la muse française et alsacienne. Longtemps, il a été le rédacteur du bulletin L ‘Ancien de Matzenheim. Ses publications sont surtout des documentaires soigneusement rédigés. On lui doit notamment un bel ouvrage sur Camille Greth, illustrateur de manuels scolaires, et surtout ses tra­ductions des fables de La Fontaine en alsacien, qui ont occupé ses moments libres au cours de 30 ans de labeur, pour oublier, disait-il amusé, «les moments de détresse d’un pédagogue ». Quelques-unes ont été publiées en 1995 et enregistrées sur CD.
En novembre dernier, lors d’une soirée inoubliable où il a encore vécu des moments de bonheur, frère Denis avait offert à la Bibliothèque Humaniste de Sélestat ses manus­crits des Fables.
La célébration des funérailles a eu lieu mercredi 17juillet à 14 h 30 dans l’église paroissiale de Matzenheim en présence d’une assistance très nombreuse.
Les anciens élèves et amis du défunt sont venus des qua­tre coins de l’Alsace. Dans son introduction le frère Yves Hoffmann, Supérieur Général de la Congrégation des Frères de Matzenhieim, a dit que l’artiste a cessé de peind­re et l’écrivain a laissé sa plume; Frère Denis était un péda­gogue exceptionnel aux talents multiples.
La célébration eucharistique a été présidée par l’abbé Antoine Burg, vicaire épiscopal Alsace Nord et ancien élève. Il était assisté de Mgr Kieffer, vicaire général et de nombreux prêtres. C’est le frère Jean-Claude Anheim, directeur du collège de Matzenheim, qui a retracé la vie de frère Denis dans son éloge funèbre. Il le qualifia d’excel­lent pédagogue, jovial et plein d’humour qui a également, en tant qu’ artiste et écrivain, accompli un immense travail. A l’issue de l’office une enseignante de l’équipe éducative du collège a rendu un émouvant hommage à frère Denis. C’était pour remercier le cher disparu pour sa disponibili­té et ses nombreux services rendus au collège.
Théo Breysach, DNA, juillet 2002
 
Mot du Fr. Yves, supérieur Général de la Congrégation des Frères de Matzenheim
 
Frère Denis est parti à la première heure de ce 14 juillet...
L ‘artiste a quitté la scène sans attendre les rappels.
L ‘écrivain a posé sa plume, nous invitant à trouver nous-même la morale de sa fable.
Le peintre nous lègue son ultime tableau, celui d’une vie haute en couleurs et au~ traits marqués...
Mais nous tous ici présents, nous perdons surtout un confrère généreux, un parent attentionné, un ami fidèle.
 
C’est en Dordogne que se nouent de fortes amitiés pour le jeune frère, notamment celle de son confrère, le frère Jules, avec qui il formera très vite un solide tandem. Un poème dédié à cette amitié se termine par le couplet suivant :
« Sacré tandem des terrestres pèlerinages,
Puisses-tu un jour, après le dernier virage,
Déposer tes amis au royaume des cieux
Dans la douce Dordogne du Bon Dieu»
Reconnu pour ses qualités artistiques, le frère Denis a surtout été apprécié pour son humour intarissable, sa générosité dans les ser­vices rendus, son savoir-faire pédagogique et sa simplicité naturelle en toutes circonstances.
Son départ nous attriste. Evidemment.
Mais le ciel est en fête et nous entendons le frère Denis mêler aujourd’hui sa voix au concert des anges, comme il le souhaitait lui-même en évoquant les tribulations du choeur de la com­munauté dirigé par le défunt frère Dominique:
« Je le sais, il viendra bientôt ce temps radieux
où mes chantres sauront chanter au royaume des cieux »
Pour conclure, laissons encore parler le frère Denis dans un de ses poèmes
« Je comprends aujourd’hui tout ce qui m’est advenu
Et que l’histoire de ma vie est une histoire d’amour.
Je comprends enfin un peu mieux
Q u ‘un immense amour nous invite et nous presse!
Et qu’un jour viendra où je verrai
Mon rédempteur dans l’éternelle allégresse. »
Nos communautés de Madagascar sont unies à nous aujourd’hui dans la prière. Le frère Constant, qui a oeuvré auprès de frère Denis durant de nombreuses années au Juvénat, se dit particulièrement touché par ce départ si rapide.
Il écrit
«Si notre frère est aussi actif au ciel comme iI l’était parmi nous, je pense que nous serons bien protégés. Réjouissons-nous de ce saint protecteur et unissons-nous dans la prière »
Fr. Yves, Supérieur Général
 
Homélie de l’enterre­ment de Frère Denis 17 juillet 2002.
 
La célébration des funérailles de Frère Denis est pour nous tous un homma­ge que nous lui ren­dons et un témoi­gnage de gratitude envers lui. Elle est aussi une démar­che religieuse par laquelle nous atten­dons une Parole sur le sens de la vie et dela mort qui nous a été donnée par Jésus le Christ.
 
Chacun de nous a des souvenirs qui lui reviennent à l’esprit, souvenirs de la vie de famille pour Mme Mischler la soeur de Frère Denis à laquelle il était très attaché et qui est venue régulièrement le visiter ces derniers temps à Aubure et à Andlau et surtout ces derniers jours à l’hôpital de Sélestat par une présence quotidienne à ses côtés au moment où il entrevoyait plus clairement son passage.
Souvenirs des études en commun pour ses confrères et d’un long compagnonnage dans la vie religieuse à Ehl, pendant les tribulations de la guerre, et depuis la guer­re, à Mulhouse et surtout à Matzenheim.
Souvenirs d’un professeur et d’un respon­sable d’internat pour beaucoup d’autres ayant reçu de lui comme on l’a évoqué tout à l’heure l’amour de la littérature, l’ouverture sur l’art, le sens du travail scolaire et de la rigueur intellectuelle.
Souvenirs d’un collègue enseignant prêt à partager avec les autres les richesses de sa documentation et de son expérience.
Souvenir d’un artiste ayant été à l’école de Monsieur Asal, le décorateur de la cha­pelle de Matzenheim et de Ehl avant la guerre, de Lambert-Rucky artiste qui a décoré la chapelle du Juvénat en 1956-57, de monsieur Ruhlmann Tristan, maître verrier qu’il a connu à l’école Normale.
Souvenirs d’un homme jovial, plein d’hu­mour, dans les nombreuses rencontres amicales où il aimait se rendre. Souvenir d’un administrateur dévoué sachant pren­dre ses responsabilités pour tous ceux qui l’ont côtoyé dans les conseils d’adminis­tration qu’il a fréquentés.
Souvenir d’un supérieur religieux attentif à ses confrères toujours prêt à donner de sa personne, toujours disponible, se dépensant sans compter pour ses frères, mettant la main à la pâte, attentif à leurs difficultés et à leurs besoins.
 
On pourrait encore développer d’autres facettes de sa riche personnalité, notam­ment son énergie qu’il dépensait dans toutes sortes d’activités manuelles. Mais je crois que nous devons aller à l’essentiel de sa personne. Frère Denis a été d’abord un religieux. Au jour de ses dix-huit ans, il s’est engagé dans la vie religieuse chez les Frères de la doctrine Chrétienne, les frères de Matzenheim. Il y a vécu pendant 64 ans. Il a prononcé des voeux de pauvreté de chaste­té et d’obéissance et il a vécu le partage dans une communauté religieuse à la suite de l’appel du Christ.
 
Il a voulu faire de sa vie avec l’aide de la grâce du Seigneur un témoignage de sa foi en Dieu et au Christ vivant et ressuscité. Il a beaucoup aimé les images de Jésus-­Christ, notamment les représentations du Christ en Gloire dans la mandorle qu’on trouve dans les tympans des églises roma­nes et gothiques, ou encore celle de Lambert-Rucky dont il a fait des repro­ductions saisissantes.
 
Il a essayé de faire comprendre aux élèves de ses cours de religion non la séduction d’un système théologique bien construit, mais la profonde connivence de la Parole du Christ avec toutes nos interrogations d’homme. Il a ouvert ses élèves aux gen­res littéraires de la Bible les enthbusias­mant pour tout l’aspect épique de certains récits.
 
Il a beaucoup aimé la liturgie et le chant choral du grégorien aux cantiques plus actuels, animant la prière commune avec régularité et enthousiasme.
 
Il a été le religieux pour lequel l’amour de Dieu donne un sens tellement fort à la vie qu’il lui permet de faire l’économie d’un attachement humain charnel. Celui qui renonce à un usage indépendant des biens matériels et qui accepte de se laisser gui­der par la volonté du Seigneur s’expri­mant dans la communauté.
 
La vie religieuse n’est pas un état de vie qui l’a mis au-dessus des autres mais au service des autres et au service du Royaume de Dieu.
Frère Denis a été auprès de nous le témoin de la cité de Dieu, le témoin de l’invisible selon les paroles de la première lecture et que Saint-Exupéry - que Frère Denis nous a fait aimer - résume d’une belle expres­sion : L’essentiel est invisible pour les yeux.
 
Il a été le témoin de la foi en la vie éter­nelle, car tout en s’activant avec énergie à toutes les activités humaines, il a placé par-dessus tout, la confiance en Dieu qui donne à l’homme un avenir éternel auprès de lui. Toute sa vie fut un acte de foi en Dieu car il a misé sûr lui et a mis sa confiance en lui.
Ainsi nous ne sommes pas réunis unique­ment pour nous souvenir de lui, ni même seulement pour prier pour lui. Nous som­mes réunis pour affirmer chacun selon son degré de foi, que nous sommes dans l’amour de Dieu pour l’éternité. Dans le credo nous disons je crois à la résurrec­tion de la chair et à la vie éternelle. Frère Denis a vécu de cette foi, il atémoigné par toute sa vie de cette foi. Comme lui, entrons dans l’espérance.
Fr. Jean-Claude Anheim
 
Mot du Président des Anciens Elèves
 
La famille des Anciens est en deuil
 
Le Frère Denis SIBLER s’en est allé ; nous le savions affaibli, mais nous espérions tous qu’il puisse cette fois-ci encore réaliser un nouveau défi face à la maladie et à la médecine. Nous avons eu le plaisir et la joie de le saluer à la fête des anciens du mois de juin dernier ; il avait même accepté d’être notre invité d’honneur en compa­gnie de l’un de ses plus brillants élèves, Monsieur François BRUNAGEL.
 
Le Frère Denis fut d’abord un professeur de lettres talen­tueux, rigoureux, exigeant avec tous et en premier avec lui-même. Il a formé de nom­breuses générations d’alsa­ciens dans une matière diffici­le à enseigner compte tenu de la forte identité régionale des élèves à une certaine époque. Homme de culture dans tous les sens du terme, le Frère Denis pratiqua avec brio et succès la peinture, la photo­graphie et surtout la poésie et l’écriture en général ; il entre­prit « ses travaux d’Hercule »sous la forme de la traduction en dialecte alsacien des fables de La Fontaine. Et c’est avec
un plaisir sans cesse renouvelé que nous aimions l’écouter dans nos réunions nous lire ces merveilleuses fables.
Nous perdons aussi un grand ami des anciens, fidèle rédac­teur du bulletin et de la lettre de liaison pendant 40 ans. Nous perdons encore un grand humoriste, ses confrères le di­saient souvent : il savait nous régaler avec des histoires savoureuses en français et en dialecte. Nous perdons enfin un Frère ayant eu d’importan­tes responsabilités au sein de la Congrégation notamment comme supérieur général pen­dant 12 ans.
 
Au Frère Denis, nous disons « Salut l’artiste. »
Claude Ringeisen
 
 
Témoignage de professeur
 
Frère Denis nous rassemble aujour­d’hui, ses Frères, sa famille, ses amis, ses élèves, ses anciens collègues de travail dont je fais partie, pour que nous nous unissions à sa prière au moment où il vient de franchir l’ultime étape de son existence et où sa vie terrestre s ‘épanouit dans l’Amour du Seigneur.
Nous continuerons à prier pour lui tandis que lui-même nous garde dans son coeur, vivant une purification qui lui per­met d’aimer totalement.
Notre mémoire, éclairée par l’Esprit-Saint, nous permet de retrouver Frère Denis dans toute la richesse de son témoi­gnage.
 
Il était Frère.
Il était enseignant.
Il était artiste.
 
Ces trois lignes de force se rejoignaient en un seul acte: celui de la création.
En effet, Frère Denis, toute votre vie a par­ticipé à la création divine dans de nom­breux domaines. J’en relève trois princi­paux:
1) Homme de relation, vous avez su créer autour de vous un climat de paix et de véri­té. A côté de vous, il fallait grandir.
2) Professeur, éducateur, vous l’étiez dans l’âme. Votre voix était votre instrument de prédilection pour trans­mettre le savoir. Vous aimiez la langue française et vous faisiez tout pour que vos élèves en saisissent la beauté. Vous vous battiez afin qu’ils com­prennent la noblesse du style et la haute valeur de notre littérature.
Et c’est juste après avoir déposé le fruit de votre immense travail de tra­duction des Fables de La Fontaine en alsacien que vous partez.
Vous étiez véritablement un pédago­gue, celui qui accompagne l’enfant sur le chemin de l’école. Avec rigueur et exigence, voire une sévérité forte, vous avez toujours voulu que les jeunes qui étaient confiés au Collège exploitent au maximum leur potentiel.
Vous vouliez qu’ils réussissent.
Et voilà la seconde clef de votre don créa­teur : vous saviez créer les conditions d’un travail fécond et plus d’un Ancien pourrait en témoigner.
 
3) Créateur, vous l’étiez aussi dans l’art:
Peintre, vous aimiez fixer sur vos toiles la trace de la beauté de la terre, des monta­gnes, des rivières, des visages...
Vous aimiez aussi la musique, le chant, le théâtre. Qui pourrait citer toutes vos créa­tions artistiques, tous les spectacles que vous avez mis en scène, qui ont fait la joie de centaines d’élèves et de parents.
Mais pour atteindre ce sommet de l’art, il fallait commencer par le début; et vous vous en souvenez tous, car il ne cessait de le répéter : l’essentiel pour se faire com­prendre, c’est d’abord d’articuler.
A présent, en arrivant au ciel, Frère Denis, vous avez retrouvé les “multitudes qu‘on ne saurait dénombrer”, dit L’Apocalypse.
Dans l’intimité du Seigneur et de son Amour, vous poursuivez votre magnifique mission de Frère de La Doctrine Chrétienne de Matzenheim et vous conti­nuez à y être fidèle.
Nous pouvons compter sur vous pour l’a­venir de l’Oeuvre au sein de laquelle vous vous êtes consacré à Dieu dans une radica­lité absolue.
Geneviève CRIDLIG