Frère Jules Lehmann (1920 - 2002)

Le frère Jules vient de décéder à l’hôpital de Wissem­bourg. La célébration des funérailles a eu lieu le mercredi 16 octobre 2002 dans l'église paroissiale de Matzenheim et les anciens élèves du collège ainsi que les amis du défunt étaient venus très nombreux pour lui rendre un dernier hommage.
 
Dans son introduction, le frère Yves Hoffmann, Supérieur Général de la Congrégation des Frères de Matzenheim, souligna que le frère Jules vient de décéder trois mois après le frère Denis. Ces deux frères se complétaient, s’appré­ciaient, s’aimaient; d’ailleurs ils s’étaient relayés en tant que Supérieur Général de la Congrégation. Le frère Yves, qui était élève au collège de Matzenheim, se souvient de son ancien professeur. Il le cita en tant qu’homme d’action qui n’a pas ménagé ses efforts pour conseiller et soutenir les œuvres de la congrégation à travers les différentes asso­ciations qu’il a mises en place et en 1957 il avait envoyé trois frères à Madagascar pour y créer une communauté missionnaire.
 
Le frère Jules (Marcel Lehmann) était né à Leutenheim dans le Bas-Rhin le 14 septembre 1920 C’est dans son village natal qu’il avait fréquenté l’école primaire et à 13 ans, de 1933 à 1936, il a commencé sa formation religieu­se au juvénat de Matzenheim et, de 1936 à 1939, à Ehl. De 1939 à 1940 il était déjà maître-adjoint à Tournan en Brie où le collège de Matzenheim s’était replié à causé de la guerre. Pendant l’occupation allemande de 1941 à 1945, le frère Jules enseignait dans l’Ecole libre à Thiviers en Dordogne tout comme le frère Denis. En même temps, il a poursuivi ses études à l’Ecole Normale d’Obernai qui était repliée à Solignac en Haute-Vienne. Il a commencé ses étu­des supérieures à l’université de Toulouse pour les terminer à Strasbourg où il a obtenu sa licence ès lettres en 1951. Après la guerre, le frère Jules avait d’abord enseigné une année à Mulhouse puis de 1946 à 1950 au collège de Matzenheim. C’est en 1950 qu’il a été nommé directeur de l’Institut Saint-Joseph de Matzenheim. Il était le directeur de ce collège jusqu’en 1987, où il a pris sa retraite. C’est l’actuel directeur, le frère Jean-Claude Anheim qui lui a succédé à cette date.
 
Frère Jules Lehmann était également Supérieur Général de la Congrégation des Frères de Matzenheim de 1955 à 1973 et de 1985 à 1997.
Il avait fêté son jubilé d’or le 29 septembre 1991. Il était Chevalier de la Légion d’Honneur et Officier des Palmes Académiques.
La célébration eucharistique a été présidée par Mgr Joseph Gaschy, Vicaire Général et Supérieur Ecclésiasti­que de la congrégation; il était assisté de nombreux prê­tres.
 
A l’issue de l’office religieux, une enseignante de l’é­quipe éducative du collège a rendu un hommage élogieux au frère Jules, citant quelques témoignages de re­connaissance.
Théo Breysach, DNA, octobre 2002
 
Allocution de Frère Yves à l’occasion du décès de Frère Jules
 
Il y a trois mois, nous étions réunis pour un dernier adieu au frère Denis. A peine avions-nous commencé à accepter ce deuil, que le frère Jules nous quitte à son tour pour le rejoin­dre.
Plusieurs d’entre nous en avaient un certain pressentiment, tellement les deux confrères se complétaient, s ‘ap­préciaient et s ‘aimaient.
 
Marcel LEHMANN, Frère Jules en religion, a prononcé ses vœux perpé­tuels au jour anni­versaire de ses 27 ans, soit le 14 sep­tembre 1947.
 
Ayant été moi-même élève dans ce collège, je me sou­viens avec une cer­taine émotion du plaisir mêlé d’an­goisse que nous éprouvions lorsque le frère directeur remplaçait au pied levé un professeur absent. Plaisir de découvrir les richesses insoupçonnées de quelques vers d’une fable de La Fontaine qu’il dissé­quait pendant une heure sans que nous voyions le temps pas­ser ; angoisse devant une division énorme allongée sur le tableau noir dont le frère se délectait à décrypter sans pitié les arcanes.
Mais la congrégation des frères pleure aujourd’hui celui qui fut, trente ans durant, son supérieur général. Dans cette mission, frère Jules a toujours su se montrer proche de ses confrères, quelle que soit leur condition ou leur fonction. Il avait le souci de leur bien-être et de leur épanouissement et éprouvait le besoin profond d’entretenir des rela­tions fraternelles avec ses pairs comme avec les laïcs.
Il n’en était pas moins un homme d’action. Il n’a pas ménagé ses efforts pour conseiller et soutenir les œuvres de la Congrégation à travers les diffé­rentes associations qu’il a mises en place. Surtout, suivant l’appel du pape Pie XII, il envoya trois frères à Madagascar, en 1957, afin d’y créer une communauté missionnaire. Nous savons aujourd’hui combien son intui­tion était juste: alors que les vocations de frère enseignant semblent s’être taries en Alsace, trois jeunes frères malgaches prononceront leurs vœux perpétuels le 3 novembre prochain, au sein de notre congrégation.
Malgré notre chagrin, l’espoir est entretenu par les jeunes générations qui continueront l’œuvre du frère Jules
et perpétueront son engagement.
« II faut que le grain meure pour qu‘il porte du fruit... »
Frère Jules était enfin un homme de prière. La réflexion et la méditation prépa­raient son action. Il invoquait souvent l’Esprit Saint pour diriger ses choix.
Mais il savait rester simple et invitait avec insistance ses confrères à se confier à la Vierge Marie.
A mon maître et à mon frère, je dis aujourd’hui toute ma reconnaissance.
 
Fr. Yves, Supérieur Général
 
Mot du Président des Anciens Elèves
 
En ce mois d’octobre, le glas sonne une deuxième fois pour nous annoncer le décès du Frère Jules LEHMANN. Il fut Supérieur Général pen­dant 30 ans et Directeur du col­lège pendant 37 ans. Ainsi pendant toute la deuxième moitié du 20ème siècle, il commanda en chef respecté et visionnaire le vaisseau de Matzenheim.
Grand par la taille, il l’était aussi par sa capacité à diriger et à animer la vie du collège et de la Congrégation. Connu, reconnu, parfois craint mais toujours respecté, il a forte­ment contribué au rayonne­ment de l’oeuvre éducatrice de la Congrégation comme le fai­sait au FEC à Strasbourg le regretté Frère Médard. Nous perdons également un grand défenseur de la cause des anciens : il a régulièrement assisté aux réunions du comité de 1950 à 2000. Pendant tout le temps où il fut Directeur du collège, il connaissait chaque élève et suivait son parcours après la sortie de Matzenheim; le Frère Jules possédait une mémoire phénoménale dont les anciens étaient parmi les premiers à en profiter, notam­ment dans l’établissement de certains contacts et l’organisa­tion de manifestations.
Ses fonctions et ses qualités ont amené Frère Jules à être souvent consulté et son avis faisait autorité.
Il était aussi régulièrement sollicité pour des recomman­dations par des anciens élèves il y donnait bien volontiers suite. C’est ainsi que j’ai pu, grâce à lui, séjourner au FEC pendant mes études universi­taires.
On a souvent entendu dire que le Frère Jules et le Frère Denis formaient un formidable tan­dem. Je crois pouvoir affirmer qu’ils étaient très proches confidents l’un de l’autre. Le Seigneur a voulu les rappeler à lui dans un espace de temps très proche. Sans doute, en signe de la continuité de cette complicité.
Au Frère Jules, nous disons
«Au revoir Frère Supérieur.»
 
Nous lui expri­mons notre très grande gratitu­de.
Claude Ringeisen
 
 
Témoignages de professeurs
 
C’est une Pensée de Pascal qui traver­sera ma lecture de la conduite du Collège par Frère Jules. Ce point de gravité de mon évocation m’est venu spontanément à l’esprit et il s’est trou­vé qu’en faisant ensuite appel aux témoignages de plusieurs collègues qui l’ont connu en tant que Directeur, je constatai que chacun d’eux était une illustration vécue de cette immense Pensée que je vous livre
« Connaissez donc, superbe, quel paradoxe vous êtes à vous-même...
Apprenez que l’homme passe infini­ment l’homme... »
 
Voici donc quelques témoignages de professeurs
« Grâce à sa qualité d’écoute et à sa générosité, Frère Jules m‘a acceptée dans son établissement alors que j‘é­tais en grande difficulté familiale. Je lui dois mon évo­lution personnelle et profession­nelle et lui en suis reconnaissante. »
Une autre person­ne :
 « Frère Jules m ‘a confortée dans une optique huma­niste de l‘homme avant la loi. Je retiens une phrase qu‘il me disait souvent. «Un élève est plus que ce qu‘il laisse paraître. Il est une personne qui se construit. »
 
Et encore:
« Quand je suis arrivé au Collège, j‘é­tais tout jeune, sans expérience. Il s‘est toujours montré à 1‘écoute de mes problèmes. Il me conseillait tou­jours de chercher la voie de l’apaise­ment par le temps lorsque je me retrouvais dans de petits conflits. Une phrase que j’ai gardée :
« L ‘homme est tou­jours plus grand que l’image qu’il donne de lui-même.»
 
Pour moi, ajoute une ancienne collègue : «Frère Jules était un homme qui savait don­ner sa confiance, qu‘il ne retirait plus ensui­te. Un homme de fidé­lité aux autres et à ses engagements. »
A présent une institutrice : « Frère Jules connaissait chaque enfant par son prénom. En début d’année, il pas­sait dans les classes primaires afin de fixer chaque visage. Aucun enfant ne devait être un anonyme pour lui. »
Et pour clore ces évocations voici un témoignage sur ses derniers mois : « Ce qui m‘a frappé, il avait des moments de grande lucidité jusqu‘à la fin. Il posait toujours des questions sur le collège, parlait sans cesse des élèves. Il avait aussi des moments où on devinait sa maladie, des moments où il ne trouvait plus les mots. Jamais il ne s‘est plaint de sa maladie. Il acceptait sa retraite à Haguenau surtout parce qu‘il était proche de sa famille, ses sœurs et son cousin Antoine. » Les dernières semai­nes avant sa mort, Frère Jules souhai­tait encore avoir la liste des nouveaux élèves de 5è - il s’inquiétait de leur accueil: « Il faut bien les accueillir au collège, bien les intégrer. » Il insistait “Quelles sont les dates de prochaines vacances ?“ Il voulait que je les inscrive sur le grand calendrier mural de sa chambre .ll revivait en somme sa dernière rentrée. Un souhait revenait souvent ces derniers temps : voir un match au Racing.
 
Frère Jules, vous avez été chef d’établissement.
Chef, vous l’étiez dans tous les accep­tions du terme : direction, commande­ment, affection. De l’exercice de cet état, vous en aviez la hauteur, la lar­geur, la profondeur.
Je relève les principales lignes de force qui émergent et resteront gra­vées dans nos mémoires.
Vous étiez pour tous, élèves et maîtres, d’une exigence forte et d’une sévérité sans égale. Face à toutes les situations, seul le bien de l’élève était prioritaire. Votre fermeté avait un but: que nous, les enseignants, ne soyons pas seule­ment des vecteurs de transmission des savoirs et de l’éducation, mais que nous devenions des modèles. Par votre autorité, vous nous placiez devant notre responsabilité première : celle de “maître »avec ses droits et ses devoirs.” Sans cesse, vous aviez à nous resituer dans cette relation à la fois mystérieuse et transparente, celle du maître et de son élève, en tant que dis­ciple à faire grandir, en appliquant cette sentence
« Qui bene amat, bene castigat »
Qui aime bien, châtie bien!
Ces grandes qualités de chef vous avez pu les incarner car, vous le saviez inti­mement, tout comme Pascal :« La grandeur de l’homme est grande de ce qu’il se connaît mis­érable. Un arbre ne se connaît pas misérable.
En un mot, l’homme connaît qu‘il est misérable : il est donc misérable, puisqu‘il l’est, mais il est bien grand, puisqu‘il le connaît. »
A présent, Frère Jules, vous entrez dans cette vie nouvelle avec Dieu et en Dieu que vous avez aimé durant toute votre vie. Nous vous quittons, toujours en lien avec l’illustre Pascal, sur cet espoir infini:
Le bonheur n’est ni hors de nous, ni dans nous; il est en Dieu, et hors et dans nous.
 
Geneviève CRIDLIG