Pierre Rolly (1939-1940)

C’est ainsi que Pierre Rolly commence le 1er chapitre de son autobiographie « Le fleuve de ma vie » éditée au Carré Blanc et publiée en 2002.

Ses parents, viticulteurs à Dieffenthal, y tenaient aussi le restaurant « A la Couronne ». A l’âge de 6 ans, en 1932, il entra à l’école primaire de Dieffenthal. A 7 ans, le curé le sollicita pour être servant de messe, fonction qu’il remplissait scrupuleusement chaque matin à 7h30 avant d’aller en classe. Il resta toujours très attaché aux valeurs chrétiennes. En 1936, il fit simultanément la 1ère communion et reçut le sacrement de confirmation de la part de Mgr Ruch, évêque de Strasbourg. Ce dernier fit l’honneur à son père, alors maire de la commune, de lui rendre visite à son domicile.

En 1938, il entra au collège de Matzenheim. Mais cédons lui la parole pour évoquer ces courtes années passées au collège qui l’ont marqué pour la vie. Son témoignage est intéressant pour connaître la vie au collège avant la guerre.

Pierre Rolly (suite)

« En septembre1938, je suis passé interne au collège saint Joseph à Matzenheim. Mon père était déjà interne en 1900 dans cet établissement tenu par les Frères de la doctrine chrétienne. C’est un établissement scolaire qui avait de tout tempsbonne presse en Alsace et au-delà de nos frontières. […]

Mon entrée à l’internat du collège de Matzenheim a complètement bousculé ma vie. Mon père m’a confié au directeur, le Frère Félix, en lui demandant de me placer dès la première année dans une classe pré­parant l’examen du certificat d’études. Le premier jour au collège était réservé à l’examen d’aptitude des nouveaux élèves. C’était un petit exa­men d’entrée. J’étais donc admis en classe de quatrième B avec comme professeur principal le Frère Mathieu. Mais ce dernier a été muté à la fin du premier trimestre à l’école des Frères à Mulhouse. C’est donc le Frère Raphaël qui l’a remplacé à partir du deuxième trimestre en tant que pro­fesseur principal. Il enseignait les sciences, les mathématiques, l’histoire et la géographie. Le frète Aimé nous enseignait le français et le Frère Romain était notre professeur de dessin. Au début, je peinais pour atteindre le niveau exigé, surtout en grammaire. Pour les autres disci­plines, je n’avais pas de problèmes pour suivre. Quelques semaines avant l’examen du certificat d’études, mon professeur principal, le Frère Raphaël, est subitement rappelé sous les drapeaux, il avait le grade de sous-officier. C’est le Frère Célestin, venu en catastrophe de la maison d’Ehl, qui l’a remplacé pour nous préparer à l’examen. Quelle coïnci­dence, cet examen a été fixé au 28 juin 1939, jour de mon treizième anniversaire. Cet examen s’est déroulé dans les locaux du collège avec des surveillants et tin jury extérieur à notre établissement. Les candidats avaient le choix entre l’allemand et le dessin, j’ai donc opté pour l’alle­mand comme je n’étais pas fort en dessin. Tous les élèves de ma classe ont passé avec succès cet examen et notre professeur principal le Frère Raphaël a affiché une légitime fierté. Il avait obtenu de l’administration militaire un jour de congé pour l’examen afin de nous soutenir morale­ment. Il pouvait ainsi partager avec ses élèves la joie de la réussite. A l’is­sue du repas de midi, la fanfare du collège donnait un concert dans le parc en l’honneur du jury. La remise des diplômes a eu lieu à seize heures dans le parc du collège par l’Inspecteur d’Académie.

Le lendemain de mon entrée au collège, le Frère directeur m’a convoqué pour me signaler qu’il m’a retenu pour intégrer le groupe des servants de messe du collège. Ce groupe était composé de sept servants de messe qui effectuaient leur service par alternance. Le frère Gilles, en tant que sacristain, m’a alors accueilli dans la sacristie et m’initiait dans tous les détails à ce service. J’ai appris à la suite que c’était sur recom­mandation particulière de mon curé de Dieffenthal que j’étais admis dans le groupe des servants de messe du collège. Le sacristain, Frère Gilles, était également le Frère surveillant de mon dortoir, cela m’a beaucoup facilité la chose pour accomplir ce service. Avec les deux aumôniers au collège, l’abbé Théophile Moschler et l’abbé Antoine Imbs, on avait chaque jour deux messes au collège, la première était réservée à la communauté des Frères tandis que la seconde était celle des élèves. Aussi, le Frère Gilles avait parfaitement programmé l’alternance du service des servants de messe, de plus, on avait régulièrement des répétitions avec lui. A noter que l'on avait deux sacristies à la chapelle, celle des aumôniers et celle des servants de messe dont nous avions la charge de l’entretien. J’ai beaucoup apprécié le Frère Gilles, il était pour moi comme un père, il est d’ailleurs né la même année que mon père en 1886. En tant que surveillant de mon dortoir, le Frère Gilles a bien su remplacer le rôle de mes parents. C’est ainsi qu’il m’a appris à bien faire le lit le matin et surveiller minutieusement le rangement de notre trousseau. Avec la prière commune du matin au dortoir, on descendait de l’étage pour rejoindre la salle d’études. La journée au collège était programmée de la façon suivante :

06 H 00 : lever 13 H 00 : classe
06 H 30 : études 16 H 00 : goûter au réfectoire
07 H 00: messe 16 H 30 : récréation
07 H 30 : petit déjeuner 18 H 00 : dîner
08 H 00 : classe 18 H 30 : récréation
11 H 00 : récréation 19 H 00 : études
12 H 00 : repas de midi 20 H 30 : coucher
12 H 30 : récréation

Ma communion solennelleLe 31 mars1940

Les cours particuliers tels que la musique, l’anglais, dactylo, comptabilité, répétitions servants de messe et chorale, étaient au détri­ment des heures de récréa­tion. C’est sur insistance de mon père que j’étais inscrit pour les leçons particulières en musique. C’est donc qua­tre jours par semaine, de onze à douze heures, que j’ai pris des cours de musique sur un instrument de deuxième piston. J’ai donc la première année au collège suivi régulièrement ces cours de musique. Pour accéder à la grande musique, terme que l’on employait pour nommer la fanfare, il fallait au préalable une année d’apprentis­sage. Le directeur de la fanfare, le Frère Aimé, qui était en même temps mon professeur de français, m’a donc initié et m’a transmis la passion de la musique. Cette fanfare a largement contribué à l’ambiance festive lors des différentes fêtes au collège. De plus, tous les dimanches, de treize à quatorze heures, avait lieu le concert dominical dans le parc du collège. Le jour de la Fête Dieu, cette fanfare participait comme d’ailleurs tous les élèves du collège à la procession organisée par la paroisse de Matzenheim à travers le village, richement décoré pour la circonstance.

Le jeudi matin était réservé à la conférence spéciale avec le Frère Directeur, le Frère Félix. Il a réuni les élèves par tranche d’âge, soit trois sections les petits, les moyens et les grands. C’était toujours des conférences intéressantes car, Frère Félix étant un éducateur très expéri­menté, il possédait le don de la transmission d’une éducation chréti­enne. D’une façon magistrale, il savait nous tracer les grandes lignes de la vie, tant sur le plan religieux que sur le plan civique. Il tenait à ce que chaque élève du collège de Matzenheim puisse quitter cet établissement avec de solides bases de formation pour affronter la vie publique. Je dois avouer qu’une multitude d’anciens élèves occupent des postes impor­tants, tels que parlementaire, conseiller général, maire, etc... J’ai tou­jours considéré Frère Félix comme un personnage particulier, homme rigoureux, possédant vraiment le sens du commandement. Il était d’ailleurs, lors de la première guerre mondiale, à la tête d’une compag­nie avec le grade de capitaine (Hauptmann).

[…]

Un événement particulier s’est produit au soir du dimanche 16 octo­bre 1938 : l’incendie du bâtiment principal du collège. Les élèves se trouvaient en récréation dans les deux cours du collège, quand soudain on entendait des cris au feu. Quelle stupeur et frayeur pour nous élèves, de voir les flammesdétruire la toiture du bâtiment nord. Même la petite cloche est devenue la proie des flammes. L’incendie était d’une telle ampleur que les pompiers de Benfeld, d’Erstein et de Strasbourg ont renforcé le corps local des pompiers de Matzenheim. C’est à l’aide des grandes échelles que les hommes du feu ont finalement maîtrisé l’in­cendie, évitant que le sinistre ne se propage au-delà du petit clocher situé au centre du bâtiment. C’est tard dans la soirée que le dîner a été servi aux élèves dans le réfectoire encore inondé d’eau. L’ensemble du bâtiment a en effet subi d’énormes dégâts des eaux provenant des lances des pompiers. Malheureusement, mon dortoir situé dans l’aile nord du bâtiment a été fortement endommagé de sorte qu’il fallait reloger ailleurs ses occupants. C’est spontanément que des élèves ont été accueillis pour la nuit au château d’Osthouse et à l’hôtel Marx à Erstein. Avec trois autres élèves, j’étais accueilli pour la nuit par la famille Rohmer, habitant une ferme voisine du collège, dans la rue Principale. Cependant, les cours avaient repris normale­ment le mardi matin, et l’hébergement des élèves sinistrés a été réor­ganisé. Pour la deuxième nuit après le sinistre, le Frère Directeur a pu réintégrer tous les élèves sinistrés et les reloger provisoirement dans le bâtiment au-dessus de l’infirmerie et du préau. Les entrepreneurs se sont mis à pied d’oeuvre pour réparer les dégâts et reconstituer la toiture avec le petit clocher. Au printemps 1939, j’ai pu retourner dans mon ancien dortoir flambant neuf.

[…]

Quelques jours avant les grandes vacances, le Frère Directeur avait organisé une grande excursion pour tous les élèves. Pour cette sortie, il fallait affréter cinq autocars. Partis de bonne heure de Matzenheim, nous nous sommes arrêtés à Sigolsheim pour y célébrer l’eucharistie à l’église paroissiale. La suite du programme nous a menés dans les Hautes Vosges, le Ballon d’Alsace et Gérardmer.

La veille de mon départ du collège pour les grandes vacances, je suis allé faire mes adieux aux deux aumôniers auxquels j’étais très attaché en tant que servant de messe. Ces deux aumôniers, M. l’abbé Théophile Moschler et M. l’abbé Antoine lmbs avaient des caractères très dif­férents, toutefois, ils étaient complémentaires. Je me souviens de la messe pour le défunt Pape Pie XI, décédé en mars 1939. L’aumônier Moschler avait alors renvoyé les servants de messe avant l’office, exigeant que l’on mette pour la circonstance les souliers du dimanche.

[…]

La seule chose dont j’avais horreur dans le collège de Matzenheim, étaient les grandes promenades du jeudi après-midi, de Matzenheim sur la route nationale 83 à Erstein Gare et le retour par Erstein Ville et Osthouse. Bien que ces promenades fussent bénéfiques pour notre santé, j’aurais préféré rester en classe d’études au collège. Après avoir décroché le certificat d’études en juin 1939, le Frère Félix m’avait inscrit pour la rentrée de septembre 1939 dans une classe de première d’Etudes Primaires Supérieures pour prépar­er l’examen du brevet élémentaire. Mais la déclaration de guerre de début septembre 1939 a complètement bouleversé la suite de ma sco­larité. Ma mère m’avait préparé minutieusement le trousseau pour la rentrée 1939, chaque objet du trousseau devant être numéroté avec le chiffre 188, qui était mon numéro au collège pour tous les objets. Mon père m’a donc conduit à Matzenheim au lendemain de la déclaration de guerre comme si de rien n’était. Le Frère Félix nous a accueillis dans son bureau et son visage reflétait une émotion particulière. C’est d’une voix grave qu’il nous a signalé que l’administration lui a signifié la fermeture de l’établissement, mesure touchant tous les internats situés en zone mil­itaire. De ce fait, le collège de Matzenheim a fermé et la plupart des Frères ont été mobilisés par l’armée. J’avais encore l’âge scolaire et je ne voulais en aucun cas réintégrer l’école primaire de Dieffenthal, ni le col­lège Koeberlé à Sélestat. Après quelques instants de réflexion, le Frère directeur a proposé à mon père d’accepter une douzaine d’élèves à titre de demi-pensionnaire. Sans la moindre hésitation, j’ai répondu posi­tivement à la proposition du Frère directeur qui m’a suggéré de me loger chez la famille Rohmer qui m’avait accueilli lors de la nuit de l’incendie du collège le 16 octobre 1938. D’autre part, le Frère directeur a informé mon père que le Frère Médard, directeur du Foyer d’Etudiants Catholiques (FEC) à Strasbourg est parti à Paris à la recherche d’un lieu de repli pour les élèves de Matzenheim. Je suis donc rentré avec mon père à Dieffenthal et il m’a reconduit le surlendemain à Matzenheim en emmenant par précaution une bicyclette me permettant de rentrer dans le cas d’une évacuation rapide. Nous voilà donc une douzaine d’élèves à nous retrouver tous seuls dans ce grand bâtiment qui abritait quatre cents élèves dans l’internat. Aussi, une grande partie du collège était réquisitionnée et occupée par l’armée. Dans les cours stationnaient les véhicules militaires et sous le grand préau, les militaires avaient installé l’écurie des chevaux. Comme enseignants, il ne nous restait que les Frères âgés, Frère Fulrade, Frère Jean, Frère Anselme et le Frère Gilles. Du noviciat d’Ehl est venu en renfort un jeune Frère de dix-neuf ans, le Frère Jules Lehmann, qui est devenu par la suite directeur du collège et supérieur général de la congrégation des Frères de la doctrine chrétienne de Matzenheim. Ces quelques Frères tenaient une classe unique avec cette douzaine d’élèves, bien que nous soyons de niveaux différents. J’ai donc dormi avec mon camarade Louis Bringolf chez la famille Rohmer qui était très bienveillante à notre égard. Madame Rohmer nous réveil­lait tous les matins à l’heure fixe indiquée par le Frère directeur, Les sol­dats prêtres qui étaient cantonnés à Matzenheim sont venus tous les matins au collège pour célébrer la messe. C’est ainsi que je passais la moitié de la matinée à servir la messe auprès d’eux. A plusieurs reprises, nous étions obligés de rejoindre l’abri de la cave lors d’alertes aériennes. C’est à cette occasion que j’ai entendu pour la première fois de ma vie, les tirs des canons de la défense aérienne qui tiraient sur les avions ennemis.

Entre-temps, le Frère Médard est rentré de Paris, porteur d’une bonne nouvelle. Il a réussi à trouver un bâtiment vacant susceptible d’accueillir le collège de Matzenheim. Il s’agissait d’un château inoccupé appartenant à la congrégation de St. Vincent de Paul et se trouvant à Tournan en Brie à 25 kilomètres au sud-est de Paris. »

Le séjour à Tournan et le retour de Pierre à Dieffenthal en 1940, a déjà donné l’occasion d’un article dans le Bulletin des Anciens. On le trouve aussi sur le site des Anciens dans la rubrique Chroniques.

Au retour de Tournan, à 14 ans, il arrêta les études et participa aux travaux agricoles dans l’exploitation familiale. Mais en 1943, à 17 ans il dut passer le conseil de révision allemand où il fut déclaré apte pour effectuer le service militaire. En juillet 1944, il fut convoqué au RAD et transféré en Allemagne, près de Stuttgart. Déplacé ensuite vers Brisach, il subit le baptème du feu aux environs de Colmar lorsque le train fut mitraillé par des avions alliés. En novembre 1944, il fut libéré du RAD et obtint la permission de rentrer à la maison jusqu’à son enrôlement dans la Wehrmacht. Mais entre temps Dieffenthal fut libéré par les américains et le restaurant « A la Couronne » devint leur poste de commandement.

Pendant 15 ans Pierre travailla au sein de l’exploitation familiale.

En mars 1959, à 32 ans, Pierre se présenta aux élections municipales. Elu en 7e position, il fut néanmoins choisi comme maire et succéda ainsi à son père qui ne souhaitait plus se présenter. En tant que tel, pendant 36 ans avec son conseil municipal, il entreprit de nombreux travaux dans la commune et se fit de solides relations. Il écrit en 2002 dans son autobiographie :

« J’ai eu pendant cette longue période de trente six ans de mandat de Maire de très bonnes relations pour dire amicales, avec l’ensemble des Maires de la ville de Sélestat qui se sont succédés. (…) Joseph Klein, Albert Ehm, Dr Maurice Kubler, Dr François Kretz, Robert Weber, Gilbert Estève et Pierre Giersch »[…]

« Par ailleurs, je suis resté en contact avec la plupart de mes anciens camarades de classe (René Guerre, Pierre Brunner, Bernard Schenck…), qui ont tous pris des directions différentes dans la vie professionnelle »

Pierre est décédé le 15 février 2011 à l'âge de 85 ans. Lors de ses funérailles le lundi 21 février on a pu noter la présence de tous ses amis et de nombreuses personnalités physiques ou morales : la Congrégation des Frères de Matzenheim, l’Association des Anciens Elèves de Matzenheim, une foule d'élus (la sénatrice Esther Sittler, les députés Antoine Herth, Germain Gengenvin, le conseiller Général et Maire de Sélestat Marcel Bauer, des maires et anciens maires) Tous se sont souvenus de sa fidélité à ses amis, de son immense activité, de son professionnalisme, de ses remarquables qualités humaines et chrétiennes