Souvenirs de guerre de Soeur Climène (1942-1945)

Les occupants de l’Alsace, comme vous le savez, n’ont guère laissé d’autres choix aux Sœurs de Ribeauvillé que de se convertir en infirmières pour soigner les malades et b sien sûr, les soldats blessés. Au libre choix, je fus envoyée par la Mère Générale, Sr. M.Henriette, à la clinique de la rue du Bourg è Muihouse pour y faire 3 mois de stage. Ce fut fait en nov.déc. janvier 1941-42. Par ce stage j’étais reconnue comme “Volkspflegerin” donc jugée capable de travailler en salle d’opération. Après un mois de travail à Ste Marie è Ribeauvillé au “Reserve-Lazareth” pour m’habituer aux soldats, comme disait la Mère Générale, le 4 avril 1942 elle m’a envoyée (date du jour peut-être inexacte) au Collège de Matzenheim.

Le Révérend Fr. Félix m’a accueillie, me disant: “Restez chez nous, les Sœurs d’Erstein arriveront un de ces jours; elles ont déjà envoyé la literie pour les Sœurs qui suivront.” Il me présenta au Oberstabsarzt, Dr. Pourchet (Stuttgart) et Oberstabszalmeister Wetzel. A cette époque j’avais 26 ans. Ils n’ont même pas fait grimace en me voyant en cornette (bien raide). Je lui disais: “Une fois au service nous avons toute liberté de simplifier”. Le lendemain vint de Sermersheim, Sr. Lucienne d’une 60taine d’années! mais toute souriante et fraîche de figure, me rejoindre.

Le premier convoi de blessés était arrivé au Reserve-Lazareth” comme la maison se dénommait à cette époque, lorsque les Pflegerinnen d’Erstein n’étaient pas encore arrivées.

Premiers soins des soldats. - Tous les soldats venant de n’importe quelle région d’Allemagne, en premier passaient au Entläusungsraum, ce qui était la petite maison des douches, très bien installées d’ailleurs. Ces soldats, disons, étaient convalescents et devaient très vite guérir pour retourner au front (Russenfront). Je n’ai jamais accepté de soigner dans cet endroit; c’était bien le travail des hommes: médecins, famulus venant de Fribourg, de la faculté et qui faisaient des stages à Matzenheim avant d’aller au front; ensuite les Sanitätsmanschaften qui y fonctionnaient.

Je tâchais que les provisions de pansements fussent toujours préparés à l’avance. Jusqu’è la fin de la guerre, j’ai travaillé en salle d’opération et en station avec 23 médecins: tous étaient corrects. J’ai beaucoup appris de certains chirurgiens ou d’autres médecins de médecine interne.

Ils étaient tous gentils, même déférents, les protestants plus que les catholiques qui, d’ailleurs, étaient rares.

La salle d’opération était installée dans la classe au 2e étage, en face de l’escalier, côté droit, en face de la maison des Sœurs. Toutes ces installations et préparations se faisaient dans le calme et la bonne entente avec les frères, médecins et sanis.

Chacun avait le besoin de se situer, de s’organiser, et très vite cela tournait à un rythme presque interminable. Parfois il y avait 3 convois par semaine. Le Fr. Dominique et surtout le Fr. Armand et les Sœurs cuisinières en savaient long, pour faire manger tout ce monde affamé.

De 8h à 11h, nous avons généralement fait 60 pansements, je dis nous, le chef commandait bien sûr, et il fallait les défaire, nettoyer, désinfecter et refaire les pansements.

Les jeunes médecins, un après l’autre, amenaient leurs blessés è 11 h pour que ça aille plus vite.

Comme le chef était d’une jalousie peu commune, ce qui créa des différends, parce qu’on ne prenait pas garde è sa faiblesse; il me faisait changer: “Dorénavant vous descendez au rez-de-chaussée faire les soins”. Le chirurgien qui venait les dimanches refaire les plâtres, avait vite fait le constat: “Amenez-moi Sr. Climène qui travaillait avec nous dimanche dernier. Et le Stabsapothecker arrangeait tout le reste, de sorte que je devais reprendre le travail en salle d’opération. Un jour nous avons fait les curieuses pour savoirce que le chef raconte aux soldats réunis devant la plaque du Führer. Nous l’entendions, avec sa voix hachée: “Hart miissen wir sein, härter mit uns selbst, am härtesten mit dem Feind!” Je ne sais plus à quelle époque de l’année 1943 il faut situer le fait, on nous informait de Strasbourg de cars étaient préparés devant la gare pour transporter...prêtres et religieuses de l’Alsace, au front russe. Cela a duré une quinzaine de jours pour qu’ils aient la vraie réactions des Alsaciens.

Sur ce , Sr. Thérésita me disait: “ Vous pourriez demander au chef!” à ce moment elle n’était plus dans ses grâces parce qu’elle avait donné une réponse négative pour le sport des Sœurs de la part de la supérieure générale qui disait: “Nous n’avons pas d’argent pour acheter des tuniques de sports aux Sœurs alors que moi je lui avais déjà répondu : “Je fais du sport toute la journée”.

Et je lui ai énuméré tout ce que je faisais, même le grand nettoyage de la salle d’opération après les plâtres, si ça compte aussi pour nous? “ Nervös, mit seiner voix saccadée, il mâchait les mots: “Ach, ich glaube nicht, dass es für die Pflegerinnen gilt!” De cette réponse incertaine, quelques-unes d’entre nous, nous avons préparé le plus nécessaire dans nos sacs de voyage, car on se méfiait de lui.

Je crois bien que c’était en 43 où les convois se faisaient plus rares - pour quelle raison, on ne savait pas - il y avait des soldats italiens parmi; et le sous-officier Nathe me disait: “Attention, Sr.
Climène, ce sont des chauds, les Italiens!”.

Nous avions aussi une salle pleine de blessés du crâne. Cela faisait mal è les voir. Vers 44 on ne savait déjà plus trop ce qui va se passer: les pauvres avec leurs grandes plaies sans pansements et les quelques cheveux qui leur restaient, pleins de poux. Le chirurgien obtenait très vite l’évacuation vers Strasbourg: c’était le docteur Mertens, un artiste en musique. Quelquefois il me fallait le chercher à l’orgue le matin, à 8 h 30 quand les soldats attendaient devant la salle d’opération: c’était un point d’humour pour tous. De même, il était artiste en dessin, mais cardiaque.

Pour l’ordinaire notre journée commençait è 7 h pile. Le Oberstabsartz ouvrait la porte de la salle d’opération pour voir si j’étais là. “Guten Morgen! Schwester Climéne (il était de Stuttgart). Jamais il ne me saluait par Heil Hitler!. Les sanis en revenant du petit déjeûner s’informaient: “Schwester CL. war der Chef schon da? Ja, er hat die hohe Stiefel an. Dann , oh weh! es ist was los!

A 5h nous avions la messe; les premiers temps par le Père Braun. A 5h 30 lorsqu’ils était plus souffrant. Alors nous n’avions pas d’autre solution que d’y aller en blouse de travail. Ensuite petit déjeûner; cinq minutes pour être à 7 heures au service respectif.

Quel événement pour la chère Gillemarie, qui ne pouvait comprendre! Une autre fois, encore une inquiétude pour lui lorsqu’il m’a vu partir en camionnette avec le médecin et le sani chauffeur. Dr Mertens comme médecin de troupe était obligé de soigner la famille dont le mari était au front.

Ainsi il m’a amenée parce qu’il y avait un petit enfant è soigner, en face de Matzenheim?? Mais le jour où j’ai fait la tournée avec S.M. Lucia au 3e étage et que j’ai rencontré cette femme assise sur le lit d’un soldat, ça ne marchait plus. Je l’ai interrogé: “Que fait l’enfant? etc.” Et le médecin fut aussitôt informé: “Qu’elle reste à la maison que je lui disais et soigne elle-même son enfant.

Les premiers temps je m’occupais aussi du laboratoire pour faire les prises de sang, etc.. Cela commençait è 7 h et è 7 h 30 ils devaient être au réfectoire, ce dont le Fr. Dominique, toujours prêt à servir avec son discret sourire, doit bien se souvenir. Parfois j’avais jusqu’à 10 à 15 sédimentations à faire dans une demi-heure. A 8 h visites des médecins. Lorsque le docteur Pourchet était mal disposé, il me faisait faire ce travail même le dimanche, et ensuite la garde jusqu’à midi. Une fois, mais pas deux, je lui fais comprendre que le dimanche je vais à la messe, soit à 7 h au village, soit à la grand’messe. La fois après il me disait:”Ach Schwester, machen sie, wie sie es für gut finden.Un certain temps, les sœurs devaient faire la garde du téléphone dans les services, le dimanche è partir de 7, 8, 9 H. Le soldat gardien de la loge me disait: « Schwester Climène, der chef ist weg » Ce message passait très vite à tous les postes non suspects. -Son dada c’était aussi les mouches à la cuisine, et le bon Fr. Armand devait accepter des Schockefenster, que Sr. Lucienne t moi devions fabriquer, sur un cadre correspondant aux fenêtres. Il fallait fixer la gaze hydrophile, où l’air ne pouvait passer. Désolation! Facile à comprendre pour tout le personnel de la cuisine si dévoué. Fr. Armand, disais-je, je trouve une solution. Lorsque la visite de l’hygiène, pour chez vous, sera prévue, je vous le dirai et vous montez les cadres. Je tâcherai de le faire passer chez vous en premier. Ouf! disait-il, cela me soulage si vous venez avec.

En même temps j’étais chargée de soigner les médecins, sanis et les frères, cela va sans dire.
Pendant trois mois le Fr. Félix était aphone et deux fois par jour, le médecin de troupe m’a chargé de lui badigeonner les cordes vocales. Hihi! alors les cordes vocales se soignent. Et à ce moment passer le badigeon. Ce n’était pas facile car le client était très difficile à trouver; les sanis se mettaient encore en peine pour me le trouver.

Le chirurgien Dr. Mertens avait tendance aux abcès des amygdales. Lui aussi il fallait qu’il guérisse vite (Rosskür). Le Dr. Pourchet musste mal schwitzen, mais là j’ai emmené Sr.

Thérésita, déjà pour ne pas tout faire seule (On disait toujours que j’avais le moins à faire, dixit Sr. Thérésita) car lorsqu’on la cherchait, les soldats disaient: “Sie wird in ihrem fauteuil sitzen!” Des jeunes médecins, j’ai beaucoup appris. A l’examen d’Etat à Strasbourg, en 1949, après deux années d’école, cours et stage, je n’aurais pas su faire la question pratique si je n’avais pas passée au Lazareth, ce qui me valut un 19 sur 20.

Fr. Médard avait de gros abcès des amygdales. Lorsque le vent commençait à tourner, il se réfugiait au collège, se promenant, le crayon en bouche, au potager, par le brouillard. “Jo der, disait le Fr. Justin, er schleift uns alli Sache fort uff Strassbourg! pour le grand monde! Allons donc , frère, il faut que je m’en occupe quand même.

Le Wäschemeister avait une double pneumonie et on n’avait que quelques aspirines. Désolé! Le médecin de troupe ne savait plus que faire. Je lui ai proposé de lui poser des ventouses, alors que c’était une méthode française absolument défendue. Le pauvre malade ne pouvait presque plus respirer sans fortes douleurs. Le médecin n’osait pas dire oui. “Je le prends sur moi!” Arrangez-vous, dit-il, pourvu que le chef ne vienne pas l’ausculter. La sœur d’école m’a cherché les ventouses. Le chef n’était que “Cassendoctor”. La sœur du service lui faisait boire trois litres de tisane ‘Kärweleskrütt” comme elle disait et le deuxième jour, le malade avait retrouvé l’espoir de guérir. Un sanis après l’autre venait voir les traces, car c’était grand temps d’intervenir: il était un homme fort, robuste, très gentil pour les frères et les sœurs.

De temps en temps le bon Fr. Armand faisait une tarte pour les officiers. Alors quel travail pour le chef Dr. Pourchet qui mesurait à l’œil (depuis sa hauteur) pour que chacun reçoive une part égale. Dr. Mertens qui me racontait le fait, je lui ai proposé de lui passer un ruban-mètre la prochaine fois!!

Aux jeunes médecins, quand le moral était bas, je servais à 4 h de la tisane. Le bon Fr. Félix disait: “Cherchez du sucre et les belles tasses au casino! Lorsqu’ils devaient partir, ils venaient pour que je leur repasse les pantalons. Le premier que j’ai repassé de ma vie, avait les plis sur les côtés. Quelle récréation lorsque le Stabsapothecker a vu cela du premier coup d’œil.
Le casse-croûte ne manquait pour aucun et le bon Fr. Dominique avait toujours encore un bout de brioche des réunions de “Kraft durch Freude!” où les gens des endroits voisins étaient obligés de fournir pour tous les soldats.Mile Ruhlmann me passait des médailles de la Vierge de la rue du Bac et le feuillet “Unser Vater” des Pères franciscains (Tharcisius) de Sélestat. Tous sans exception l’ont fixée dans leurs vestes. Le jeune médecin protestant me disait: “Donnez-les aux soldats; vous ne savez pas Sr. Cl., je voulais me faire pasteur, mais les événements de la guerre m’ont obligé de renoncer.

Jamais je n’avais rencontré un homme comme celui-là; dans tout son être et sa manière de faire, il était exceptionnel. Je ne me rappelle plus de son nom; j’ai une mémoire plutôt visuelle.

Ils étaient toujours tristes pour quitter le collège St. Joseph. Le Dr. Deutschmann, très gentil, était le premier à être tué au front russes Le sani du pays de Bade qui était revenu nous voir, avait vu son nom. Ce sani protestant, lorsqu’il pouvait discuter religion, pleurait de regrets. « Oui, disait-il, vous avez l’Eucharistie, mais rien que le dimanche matin la musique monte vers l’Eglise: on claironne un chant et c’est tout ».

Un jeune de 17 ans revenait avec un convoi de Russie: il n’avait qu’un petit éclat à la jambe.
Sœur, me disait-il, je suis protestant, mais je veux vous raconter ce qui m’est arrivé, autrement je ne serais plus en vie, après avoir été deux fois sous le “Trommelfeuer”. La première fois j’appelai mon officier à côté de moi. Meine Médaille! Lui de dire: „Halt deine Schnurre, siehst du nicht wie es uns geht?“. Et lorsque je me suis réveillé à l’hôpital, ma médaille que voici, était sur ma poitrine, mais plus la chaînette. Und diese Médaille werde ich mein Lebenlang tragen, zudem ich protestantisch bin Diese hatt mir ein B.D.M. Mädel im Packet an die Front geschickt mit einem Kettchen!

A la fête de St. Joseph 43, c’était le repas de fête, après la grand messe, pour tous. Un jour le Dr. P. me dit: “Wenn der Führer kommt müssen sie ihm ein Essen bereiten wie am Josephstag!“ Et la veille de la fête de St. Joseph 1944 il, le chef, avait disparu sans que ni officiers, ni personne, ne savait ce qu’il était devenu!

A Noël 1943, il avait fait mettre une affiche à la porte de la chapelle: “Défense aux soldats d’y pénétrer à Noël!” Le jeune médecin de troupe, catholique, est allé à Strasbourg trouver l’aumônier principal de la Wehrmacht qui est venu l’enlever. Une autre fois il a dit au sous-off.

Schönig: “Sie Schönig, sie wissen wie man sich in einer katholischen Kirche benimmt. Am Sonntag gehen sie hinein und schreiben alle auf die in der Kirche waren“. Betrübt kam er, à la salle d’opération où il était affilié à la secrétaire. Moi je lui disais toujours papa Schönig, Schulmeister von Breitenau. Lui me dit qu’il est „schlecht angesehen weil der das Harmonium (Orgel) bemeisterte bis ganz kurz er hierher kam. Er ist auf der Liste! Hören sie zuwas ich für eine Aufgabe habe für Sonntag wenn der Chef ausgeht! Sie Sr. Cl. könnten das am besten tun; ich soll alle Soldaten aufschreiben die in der Kirche waren!“ Meine spontane Antwort: “Für wen halten sie mich?“ Il y eut une solution: je dirai aux soldats (je les connais) sortez au dernier évangile et vous direz qu’il n’y avait personne!

Dans la suite le sport fut obligatoire le dimanche matin. Mr. Duffner me répondait: “Sie wissen ja Sr. Cl. wir müssen die Befehle ausführen. Der Chef war auch sehr ehrgeizig und die Soldaten mussten schnell heilen. Im Sommer mussten sie von 11 bis 12 die Verbände weg machen und in die Sonne liegen auf dem Sportsplatz“, etc..
Un moment donné le chef m’a pris en grippe malgré qu’il me disait: “Je vous aime comme une de mes filles. Il en avait deux. Vous pensez bien comme j’étais rassurée! Lorsque sa femme venait, il la faisait servir chez les Sœurs de St. Marc qui lui faisaient la chambre.
C’était au sujet des médecins qui venaient faire les pansements de leurs soldats qui disaient: « Ca va plus vite chez vous à partir de 11 h. » De 8h à 11h j’avais habituellement 50 pansements à défaire, soigner et refaire les pansements avec le chef qui était d’une 1enteur à vous faire dormir debout. Le jaloux veillait fort bien et il me faisait descendre travailler dans la salle de soin au rez-de-chaussée pour que les médecins n’aient plus besoin de monter. A intervalles on faisait venir le chirurgien (jeune allemand) de la clinique Ste Odile, le dimanche, pour refaire les plâtres.

C’est lui qui a demandé que je remonte. Il s’était vite rendu compte qu’on n’avance pas vite entravaillant avec une institutrice qui parle beaucoup avec de bonnes intentions. Il y aurait beaucoup à ajouter ici.
La libération: 6 juin 1944.

Le matin du 7 juin, les frères (en douce) disaient à toutes les Sœurs qu’ils rencontraient, les Français ont débarqué! A 8h le Dr. Mertens me disait (entre les dents) où se trouve ce pays Normandie? Je haussais les épaules, car nous étions entourés de soldats en salle d’opération.

Le soir je demandai au soldat Abigt: “Vous ne piquez pas les épingles sur la carte? ». Un beau jour c’était stationnaire: je ne l’ai pas revu. Entre temps, je revenais de la pharmacie; j’admirais, depuis la petite cour, un avion tout bas, avec la cocarde tricolore. En face, les sanis m’appelaient, Sr. Cl., c’est beau n’est-ce pas? Ach, sagte ich! - Il me semble que c’était à ce moment que le Hauptlazareth devait s’installer. Nous étions prévus pour évacuer à Fribourg, Pestalozzischule.

Comme aucun n’a accepté, ils ont accepté les sœurs de la Croix-Rouge. La jeune qui devait me remplacer me suppliait de lui dire et montrer la façon de faire du Dr. Mertens, car ce dernier a dit tout fort, si Sr. Cl. ne vient pas avec je ne travaillerai pas.
J’ai donc initié cette infirmière qui me faisait bonne impression et qui avait peur du docteur. Le médecin commandant (général) du Frontlazareth disait: c’est moi qui garde les religieuses; nous avons assez vu à l’œuvre les “Rote Kreuz-Schwestern”. Mais ils n’ont jamais déballé, assis sur les caisses jusqu’à un certain jour où ils avaient disparu. J’ai passé en salle d’opération où j’ai vu comme des récipients de soldats pour boire. Je n’ai pas touché et le Fr. Dominique m’a dit: Heureusement pour vous. Vous auriez été déchiquetée car ce sont des Plattminen”, sur le rebord de la fenêtre.

Il restait une cinquantaine de soldats syphilitiques qui devaient ensuite tenir le front de Matzenheim, alors qu’ils n’avaient jamais de fusils en usage! Sr. Thérésita nous demandait de faire le ménage. Or c’était très dangereux d’être contaminé. Heureusement, Dieu merci, aucune n’a rien eu. Un jour Sr. Amalia voulut ranger ses balais comme d’habitude dans une salle (là où vous nous avez servi le déjeûner le 18 mars). Elle ouvre la porte et voit un soldat au lit, referme et m’appelle pour aller avec elle. Les autres, selon le dire des gens, se sauvaient à travers champs vers les Français. Je dis un mot à ce soldat:“ Nun ist der Krieg bald fertig, sind sie froh?“ Il se redresse, je crus qu’il veut m’engloutir. « Wie verstehen sie das? Der Herrgott sagt: bis hier und nicht weiter“. Ich ging natürlich rückwärts zur Tür hinaus. Le lendemain il avait disparu et nous regardions, avec beaucoup de précaution, ce qui semble dépasser des matelas: c’étaient bel et bien des fusils. J’en ai informé le Fr. Dominique qui chercha tout ça pendant le dîner des soldats et le rangea dans une chambre vis-à-vis. Je ne sais comment il a pu faire cela; en même temps c’était salle de pansements prévue pour les blessés; la clef il me l’a confiée.

Bien avant il nous emmenait au grenier, côté village, pour voir comment les Allemands essayaient encore de faire face aux Américains. Dans chaque cour, visible de là-haut, ils posaient des chars qui disparaissaient peu après.

Les énormes tilleuls abattus et minés, c’est ce que j’ai pu voir de près au moment où les soldats de l’Armée Leclerc voulaient passer tout droit et quelques civils étaient prêts à les aider. Mais le commandant avait vite fait de voir que ce n’était guère possible et qu’il fallait prendre le petit chemin autour du cimetière. Arrêtez! était son ordre. Reculez les civils! Une seconde après Mr. Kiebert glissait sur une mine qui lui a arraché le pied droit jusqu’au tendon. Bien sûr, d’urgence on m’appela et Sr. Clément seul avait le courage de m’accompagner. De loin le Fr. Armand et Gérard qui travaillait à la ferme appelaient: “Surtout mettez vos pas dans les nôtres et pas ailleurs. J’ai vu des soldats allemands le long des tilleuls, des chevaux et déjà ils nous criaient: Retournez, les Sœurs, c’est trop dangereux! Il a pu faire un garrot avec son mouchoir, mais vous restez, en sortant des champs, au milieu de la route avec les pansements. N’allez ni à gauche, ni à droite; il y a partout des mines. Et surtout que sa femme ne soit pas là.

Ceci se passait après que les Américains avaient tenté une première attaque, cinq jours après la libération de Strasbourg, autour du 27 novembre 1944, jaloux de ce que Leclerc avait prisd’assaut la ville de Strasbourg. Nos quelques munitions cachées ne leur donnaient pas, ou peu d’assurance. De la première attaque - nous ne pensions pas sortir vivants de la cave- nous avons eu, vers 22 h un soldat américain du nom de Clymenthon, qui était choqué puisqu’il n’avait mal nulle part. L’ambulance des Allemands, après l’avoir dépouillé de tout ce qu’il avait, bottes, etc.. l’a emmené vers Sélestat. Cela, un ou deux jours avant, parce les Américains lâches ont reculé après.

A partir de 7 h du soir, les frères et Gérard amenaient les premiers blessés, tous souls, au rez-de-chaussée. A partir de 9 h, ils les portaient au corridor du sous-sol. L’ambulance, avec notre médecin, venait pour la dernière fois ce soir-là car disait-il, nous avons été visé malgré la Croix-Rouge. Je vous promets de revenir dès qu’il fait jour demain.. Ainsi nous avions tous ces blessés graves. Il y avait des pansements, mais plus de sérum antitétaniques. Un père de famille me montrait la photo de sa femme et de ses enfants. Un jeune qui avait les intestins à nu, me disait: « Ne me laissez pas mourir. J’ai mes parents à Weyersheim, mais nous sommes allemands ». Je lui ai promis qu’il sera le premier à être transporté dans l’ambulance pour Sélestat. A une heure de la nuit on amena celui de 40 ans qui commandait la résistance. Le Fr. Armand me souffla à l’oreille: « Au fond de la cave il y a donc cette fameuse milicienne qu’on a vu l’autre jour, sur le trottoir avec nous, après le bombardement des voies ferrées. Surtout ne parlez pas le français ».

Les frères étaient toujours présents pour me conseiller, m’éclairer avec une bougie. De temps en temps, le bon Fr. Armand mouchait la bougie pour qu’elle dure plus longtemps.

A mesure que l’on amenait les blessés, le mot d’ordre était: Déposez vos armes, donnez vos fusils, alors seulement je vous soignerai et je m’occuperai de vous. Ici c’est la Croix-Rouge.

J’avais des grâces particulières, car si j’avais fait comme les autres, j’aurais été à la cave, relativement tranquille. Il n’y avait que Sr. Anna Benedicta qui vint une ou deux fois pour disparaître aussitôt.

La milicienne avait laissé à enfants à l’Intérieur, comme on disait, et voyageait pour les SS depuis Wissembourg jusqu’à Bâle.. L’officier de Leclerc lui faisait trouver ses papiers sous la semelle de ses souliers. Elle portait un turban rouge.

Cette nuit-là les Allemands ont allumé ma grande ferme à côté de celle du collège (soit disant pour voir clair, les deux jeunes se sont sauvés avec les chevaux). Que d’angoisse cette nuit-là, surtout avec tant de blessés graves. Heureusement que les frères étaient bien charitables et courageux.

L’arrivée des Français était annoncée par Antoinette qui servait au restaurant en face. . A 1 h de l’après-midi - je me passe de date- je la connaissais parce qu’elle venait faire soigner son doigt.

J’étais au hall d’entrée attendant le moment. Très vite le Fr. Félix était avec nous pour saluer les libérateurs!
Sr. Thérésita restait comme figée dans son fauteuil au 2e étage, résignée de mourir. Elle ne descendait pas à la cave non plus. Les chefs de l’Armée Leclerc étaient très nerveux sachant ce qui leur arriverait si les Américains ne leur donnaient pas les munitions. Et cela fut dur. Pendant des semaines nos soldats qui partaient le soir pour remplacer ceux qui sont là-bas au front, couchés dans la neige, rampant sur le ventre Au retour, le matin, ils avouaient ou vous ont souhaité de bien dormir, nous veillerons, nous avons passé des nuits blanches!il y avait un petit soldat de 21 ans qui gardait le pont en bois de Sand; de l’autre côté 50 soldats et un grand char: le lion qui aurait pu foncer! Mais nous ne riions pas dans ces moments: on savait prier Notre-Dame de la Paix “Auguste Reine des Cieux, maîtresse des Anges »...C’est elle qui les a retenus et pendant que le soldat allait souffler un peu, un autre et les civils l’aidaient à tenir jusqu’à ce que le premier qui avait ordre de faire sauter le pont était revenu sur place. Après quelques jours, les Russes ont commencé une offensive. De quel côté? Je ne sais plus, et ceux-là ont dû quitter pour se rendre là-bas.Un jeune de 17 ans qui venait de Paris avec son frère (30 ans) infirmier voulait absolument aider à ramener les blessés du côté de Neunkirch. Son frère lui refusa: Tu n’as pas d’expérience. Il supplia le commandant qui lui permit pour une demie journée et à peine là, il a été tué par une pierre qui s’est détaché du mur de l’église. A 4h on l’a ramené avec bien des civils et soldats.

Sous l’ancien préau on installa la chapelle ardente. Deux mois avant il y avait deux parachutistes anglais qui ont été abattus non loin de là. Le camion du Lazareth les a cherchés et s’est arrêté dans la cour vers 1 h.

Mlle Ruhlmann venait du train et vit que le sani Adam les maltraitait. Aussitôt elle m’appelle et ensemble nous sommes allées nous placer derrière le camion jusqu’à ce qu’il démarre. Adam en a entendu; il était seul dans la cour: « N’avez-vous pas honte, un sous-officier (il était plus bête que ses pieds) qui maltraite des soldats sous l’égide de la Croix Rouge internationale ». Je ne l’ai jamais revu en salle d’opération.

Voilà ce dont je me rappelle, ce que j’ai vécu, et bien d’autres événements. Ce n’est pas si difficile sur le papier, mais cette époque ce n’est pas gai.

Ne pas oublier que le Fr. Dominique apportait encore de belles pommes rouges, à Sr.M. Clara pour les lancer à la porte cochère, arrière-cour, dans la rue, où passait tous les chars et les camions avec les soldats de l’Armée Leclerc.Et quand le tablier était vide, il revenait déjà une seconde fois.

Les camions se suivaient interminables. Guère de munitions et la mort les guettait tous.

De même au repas de la libération à Noël?? le Fr. Armand vidait ses trésors d’huile pour les frites! et les soldats en mangeaient à satiété, de grandes marmites pleines. C’était un peu comme la parabole de la veuve, point de frites ne manquera parce que le frère avait fait la réserve d’huile bien avant.

Ce que je ne voudrais pas oublier, l’histoire d’un jeune de 18 ans, du côté de Rossfeld (Je ne me rappelle plus de l’endroit exact car cette maman me l’a raconté avant de quitter Matzenheim).

Ainsi 2 garçons qu’elle avait, se promettaient, avant de se quitter, car l’aîné partait pour Lyon continuer les études, de communier tous les premiers vendredi du mois s’ils se retrouvent sains et saufs après la guerre. Et voilà que le deuxième qui restait avec la mère, lui faisait toutes les commissions au village. Il n’entendait pas très souvent de belles choses. Ah! les commères! Il disait à la maman, jamais je ne dirai du mal de quelqu’un. Comme ils étaient en première zone, à la cave il a eu un éclat d’obus dans la jambe. On le lui soignait comme on pouvait une fois retiré.

Hélas! 15 jours après, il a fait un tétanos. D’urgence les Américains l’ont transporté à Strasbourg, mais c’était trop tard. Il insistait que l’armée lui amène son frère. Ce fut fait. Lorsque son frère fut près de lui, il lui dit: “Tu vois..je vais mourir, mais est-ce que gardes quand même la promesse que nous avons faite avant de nous séparer? » La réponse fut oui. « Eh bien tu vas le dire è notre maman que je ne reverrai plus ici-bas, mais près de Dieu. » Nous avons vécu un cas de tétanos au Lazareth. Un jeune de 30 ans (Badenser). Les soldats allaient à Strasbourg chez le dentiste, etc. et cherchaient l’autorisation écrite en salle d’opération chez Sani Schönig (?). En revenant ils la déposaient après avoir claqué les talons: cela je ne pouvais l’entendre. Ils le savaient: quand j’étais seule ils s’en passaient. Ce dit soldat revenait un soir à 5 h. Il m’avait déjà étonnée parce qu’il était très rouge dans la figure. C’était l’hiver. Il revenait d’une radio de contrôle parce qu’il devait retourner au front.

Le même soir, à 7 h, j’étais à peine devant mon assiette à soupe, arrive le sous-off, haletant: “Venez vite, Sr. Climène; le Docteur est déjà en salle d’opération. Montez là-haut !» Il était en train de fouiller pour trouver tout ce qu’il fallait comme seringues pour les injections intra-veineuses et moi je devais sans arrêt faire les sous-cutanés de coramine. Le malade était resté dans la salle d’une trentaine de soldats. Lucide, mais le lit bougeait de droite à gauche avec le malade comme un bateau sur les flots. Un peu ça. Peu à peu il se calmait. Toujours lucide, il medit! « Je vais me venger de toutes ces piqûres, après que les médecins étaient sortis ». – « Tu penses pas à dire merci à Dieu d’être encore en vie ? ». Mais on ne savait toujours pas d’où cela venait. Je lui demandai: « Où étiez-vous aujourd’hui. - Mais vous le savez, je devais faire faire les radios. Il y a à peu près 15 jours j’étais chez le dentiste. Il m’a arraché une molaire .» Je lui ai fait ouvrir la bouche; ça puait. J’ai commencé à désinfecter et rassurer les médecins réunis au Geschäftszimmer. « Venez voir. » Le chef en tête, tous s’attroupèrent dans la salle. « Gut, sagt, Dr. Pourchet, Schw. Cl. hohlen sie alles was wir brauchen. Wir legen ihn in das Einzelzimmer im ersten Stock. Sie müssen eine Nachtwache veranstalten.“ Alors Sr. Thérésita est venue me relever à minuit.

Il ne faut pas que je manque de citer le frère Henri, qui édifiait toujours avec sa disponibilité à la buanderie. J’y portais le linge de la communauté tous les lundis. Il ne faisait pas seulement tourner les machines comme disaient les sœurs de St. Jean de Basel, mais mettait la main à la tâche qui était la leur. Ici aussi il y aurait beaucoup à ajouter, pas trop édifiant.
Sœur Amalia fut aussi bien éprouvée: en 43 elle a perdu son père de maladie et peu avant, un frère, tombé en Russie. Elle-même pourrait nous en raconter long.

Le 28 août 1944 ma maman est décédée, déjà malade du foie, et ensuite très choquée au moment où Pechelbronn a pris feu par les églises. L’église également: ils jetaient du soufre dessus pour la 2e fois. Un mois après maman est tombée dans le coma, 8 jours durant. Elle s’est éteinte deux jours après que je l’avais vue, après avoir prié à haute voix la prière de St. Joseph pour l’Eglise. Toute lucide, auparavant, elle disait: « Pourvu que je vois encore les Français! Le Seigneur l’a comblé d’un autre bonheur, qui est l’unique! »

Comme conclusion je vous répète ce que votre frère prêtre a si bien exprimé à la fête de St.
Joseph, le 18 mars 1984: “Oui Seigneur, voilà mon coeur, mes mains, pour soulager la misère humaine, parfois sans trop de sincérité et de ferveur, mais je crois que chacune de nous voulait, au fond d’elle-même, réaliser sa donation totale au service de tous, sans oublier Marie Immaculée toujours près de nous. » Bien fraternellement à vous tous et encore merci Sœur Climène.

FRASNE LE CHATEAU 70700 GY Avril 1984
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