Article de V.Bourgeois

"Reconstruisant à Matzenheim leur juvénat sinistré d’Ehl, les Frères de la doctrine chrétienne ont fait ériger, en arrière de l’immeuble et à gauche, une chapelle qui fait angle droit avec la ligne du bâtiment. L’architecte, M. Walker, a donné à cette chapelle la forme toute simple d’une petite nef, abou­tissant à un chœur carré de largeur réduite. Le rapport entre les dimensions de la chapelle est excellent, la voûte surbaissée donne à l’intérieur une distinction recueillie. Tout l’éclairage vient du côté gauche, il entre dans le chœur par une grande baie vitrée en dalle de verre, et dans la nef par une série de fenêtres en plein cintre accolées, longues et étroites, et qui demanderont à être considérées comme une surface unique par le verrier. Par leur forme et leurs proportions, ces fenê­tres ne sont pas sans rappeler celles de la chapelle de Vence dont Matisse fut non seulement le peintre, mais encore l’archi­tecte. Et cette comparaison n’est sans doute pas pour dé­plaire.

Tel fut donc le cadre architectural que les Frères de Mat­zenheim demandèrent à M. Lambert-Rucki d’aménager et d’orner pour le culte de la prière.

On ne pouvait mieux choisir. Lambert-Rucki a, si l’on peut dire, le charisme de l’art sacré et de l’expression religieuse. Sa personnalité est faite « de tendresse et d’humour, et tou­jours curieuse d’invention plastique ». Cela se voit d’abord dans ses nombreuses oeuvres de petites dimensions, où son talent traduit comme en se jouant une émotion toujours fraîche, toujours nouvelle. Cette émotion atteint une qualité spi­rituelle inégalable dans ses grandes sculptures, parmi lesquelles nous n’évoquerons que la Transfiguration de Seltz, sculptée dans le béton frais de la façade et polychromée en­suite. Une grandeur hiératique qui rappelle à la fois l’esprit roman et l’imagination byzantine, et qui s’inspire aussi bien de l’art populaire oriental que des curieuses créations afri­caines et polynésiennes, pour finalement n’appartenir qu’à l’œuvre de Lambert-Rucki, anime les personnages qu’il des­sine. et qu’il modèle, dès que leur destination est d’orner la maison de Dieu.

 

  • Plan de de la Chapelle

    Plan de de la Chapelle

Article de V.Bourgeois (suite)

Dans le Christ-Roi qui occupe la place au-dessus de l’autel, et qui est de la même technique que le grand relief mural de Seltz, l’artiste a exprimé avec bonheur la majesté divine et la bé­nignité humaine du Rédempteur. C’est une figure calme qui se tient debout, les bras dans un geste d’accueil souligné par l’ample chasuble polychrome qui tombe de ses épaules. Réali­sant une symphonie de blanc et d’ocre rouge, où reviennent dans de multiples détails d’autres notes colorées et précieuses, la figure du Christ se détache du fond gris-bleu du chœur, et plane au-dessus de l’autel et du monde. Ce dernier est esquissé par un demi-cercle peuplé d’étoiles et de signes divers. Il y a dans l’œuvre une qualité de recueillement et de silence authentique qui agit sur l’âme et la dispose au col­loque divin.

L’autel a été réalisé dans des formes très simples et élé­gantes par M. Jaeg; il supporte un tabernacle en cuivre mar­telé, entouré d’une feuille de même métal qui l’enclôt et l’épanouit comme une fleur en train de s’ouvrir. Les candé­labres eux aussi ont un aspect original. Le tout a été dessiné par Lambert-Rucki, toujours épris de formes nouvelles et séduisantes.

C’est encore au même artiste qu’on demanda d’établir les maquettes des vitraux. Lambert-Rucki, familier de la pierre et du bois, de la glaise et du fer forgé, montra aussitôt que le verre n’a pas de secret pour lui. Le sculpteur, à cette occa­sion, se fit encore verrier, et nous trouvons dans les vitraux réalisés par Tristan Ruhlmann à Haguenau, la gamme particulière qui devait créer dans la chapelle un jour favorable à l’ordonnance générale, aux teintes murales, aux sculptures.

Ce sont des jeux de couleurs à qui l’artiste im­prima un rythme de lignes qui montent et descendent en volutes, en spirales et se concentrent en un point lumineux qui forme le centre même de leurs ébats. C’est au cantique du soleil de saint François qu’on pense, quand le jour répand son rayonnement coloré sur le mur d’en face. Tout vibre alors mystérieusement comme à l’approche d’une présence qu’on attend et qu’on désire et sans laquelle on ne saurait vivre. C’est une chapelle priante, et il fallait bien qu’elle le fût, puisque dans le rayonnement de sa beauté se façonne­ront, en des contacts prolongés avec le Seigneur, des vocations d’éducateurs et de prêtres.

Le grand mur face aux vitraux est encore dans toute sa nudité grise. Il sera doté, à hauteur d’homme environ, d’un chemin de croix en frise, dont les dessins grandeur d’exé­cution sont déjà prêts, et qui marquera très naïvement et sim­plement, sans fausse éloquence ni prétention académique, les étapes douloureuses de la Passion du Christ. L’exécution se fera en une figuration polychrome modelée en relief, comme le Christ du chœur ; la composition en frise sera soutenue par le jeu des verticales et des horizontales de différente hauteur, formées par la croix, qui revient dans chaque station et constitue aussi la trame de tout l’ensemble.

Un couloir assez large relie la chapelle à la maison du Juvénat. Il comporte de part et d’autre de larges ouvertures horizontales, pour lesquelles Tristan Ruhlmann a réalisé en dalle de verre deux excellentes compositions, ayant pour sujet respectif le feu et l’eau. Le coloris en est vif et gai : la joie qu’il suggère sera celle qu’à l’autel de Dieu, dès l’Introibo, nous sommes venus chercher...

On ne peut imaginer un lieu de culte catholique sans la présence d’une image de Notre Dame.

Lambert-Rucki a réalisé celle-ci en bois polychrome et l’a fixée au coin de l’arc du chœur. Aussi la madone se trouve dans le rayon de l’action liturgique, associée au sacrifice divin. Elle s’y tient debout, planant comme une apparition, le regard tourné vers son Fils. On n’exprime pas mieux l’idée de Marie Médiatrice qu’en la plaçant ainsi à l’intersection du chœur et de la nef, c’est-à-dire du ciel et de la terre. L’art est venu à la rencontre du sens théologique pour lui assigner sa vraie place.

Nous sera-t-il permis d’exprimer notre joie de voir ainsi une chapelle de communauté religieuse s’ouvrir à tout ce que l’art sacré d’aujourd’hui peut apporter de vrai et de réconfortant à la piété de ceux qu’une vocation spéciale appelle auprès du Seigneur? Nous sommes loin ici des articles de bazar dont une fausse sentimentalité et une méconnaissance foncière de la tradition de piété chrétienne ont doté tant de chapelles de religieux et de religieuses. Avec la chapelle N.-D. de Sion de Strasbourg, et celle de l’hôpital d’Erstein, le petit sanctuaire de Matzenheim apporte une vision nou­velle de ce que peut être un lieu de prières de nos jours, quand l’art et la foi y sont aux écoutes de l’Evangile et de la liturgie. Vivant sequentes.

V.Bourgeois

Bulletin ecclésiastique du Diocèse de Strasbourg n°2 La chapelle Notre Dame des Frères à Matzenheim - 15 janvier 1957