Fondation et développement du Collège de 1861 à1984

Le présent article sur le Collège veut se limiter à la création de cet Etablissement au milieu du 19e siècle et à un re­gard rapide sur les étapes successives de son développement d’a­bord matériel terrains, bâtiments, services, et qui forment le cadre de vie d’une communauté de jeunes, en internat. On se ren­dra compte que ces étapes sont étroitement liées aux facteurs so­ciaux et économiques, à l’évolution des programmes de l’Instruc­tion publique, aux événements politiques aussi, qui bouleverseront profondément la vie publique et les traditions familiales de la Pro­vince. Un grand projet initial se trouva aux prises avec de nombreux obstacles quasi ininterrompus ; mais à chaque étape le fondateur et les responsables successifs, directeurs et économes, ont essayé de faire face aux exigences nouvelles pour faire vivre et prospérer une belle œuvre au rayonnement régional incontesté.
 
A une première période, celle du projet fondateur(1865 à 1875) succédera une période importante d’équipement (1875 à 1914) ; les guerres mondiales, funestes à l’œuvre, encadrent une période calme et active (1914 à 1945) à laquelle devait succéder un fécond mouvement de modernisation et d’adaptation (1950 à 1980).
Il sera intéressant, ultérieurement, de décrire et d’analyser l’évolution de “la vie culturelle” de l’Etablissement que l’historique du cadre laisse à peine entrevoir dans cet article.
 
ORIGINES DU VILLAGE DE MATZENHEIM
 
Ancien avant-poste militaire de l’antique cité ro­maine d’Ehl, ses premières habitations disparurent à l’invasion des Barbares. Au 8è siècle, le village reparut dans le domaine d’Adalric, duc d’Alsace et père de Sainte Odile. Des chartes de l’époque mentionnent ce village sous différents noms en 734 Mathinheim, en 789 : Mattenheim, en 896 : Matunheim, en 997 Mazenheim, en 1190 : Mazzenheim et depuis le 14è siècle Mat­zenheim ; en alsacien “Matzene”. L’église paroissiale, reconstrui­te en 1781, abrite une relique précieuse : une partie du crâne de Saint-Sigismond, roi de Bourgogne, dont un petit-fils fut Adalric, le Père de Sainte Odile. Cette famille d’ailleurs viendra s’établir sur les rives de l’Ill, au château de Werde, avec le titre de Landgrave de la Basse-Alsace.
C’est dans ce village, installé sur le lœss fertile de la plaine d’Erstein, que sera fondé au milieu du l9e siècle le Collège des Frères ; leur Congrégation porte communément le nom même de cette fondation : les “Frères de Matzenheim”.
 
LES “FRERES DE MATZENHEIM”
 
D’où vinrent donc ces “Frères” et quel fut leur fondateur ? L’Etablissement, connu sous le nom populaire de “Collège de Matzenheim”, n’a pas pris naissance à Matzenheim même, mais à Hilsenheim, important village agricole au nord-est de Sélestat. La riche famille des Mertian avait fondé au Willerhof, vaste ferme de 300 ha près de Hilsenheim, un grand orphelinat pour 200 garçons-orphelins des deux départements du Rhin. Un jeune abbé, Mertian Eugène, allié de la famille fondatrice, fut envoyé par l’évêque de Strasbourg, Mgr Raess, comme aumônier au Willerhof. Plein de ferveur et de zèle, le jeune aumônier s’entoura bientôt de colla­borateurs dévoués pour l’aider dans l’éducation et l’instruction des orphelins. Il forma avec eux le premier groupe des “Frères de la Doctrine Chrétienne”. Les recrues affluèrent au noviciat. A la vue de leur travail, des municipalités alsaciennes demandè­rent au jeune Supérieur de leur envoyer des Frères-instituteurs. Entre 1847 et 1870, vingt - cinq communes obtinrent satisfaction, ce qui représente environ 75 Frères dans les écoles publiques. Un plan plus vaste mûrit en même temps : la fondation d’un inter­nat pour des études plus longues et spécialisées ; dès octobre 1856 s’ouvrira à la “Providence”, l’annexe du Willerhof à Hilsenheim même, le Pensionnat Primaire Agricole avec un programme d’en­seignement agricole, industriel et commercial.
 
OUVERTURE D’UN PENSIONNAT A MATZENHEIM:
 
En 1861, l’abbé Mertian profita d’une occasion fa­vorable pour acquérir une propriété sise à Matzenheim, sur la rou­te impériale entre Benfeld et Erstein, à proximité d’une gare des Chemins de fer d’Alsace-Lorraine. C’était relais de Poste “Aux deux clés” appartenant à la famille Kauffmann, maison spacieuses et conforta­ble où s’arrêtait autrefois la diligence pour la descente et la montée des voyageurs et pour le relais du courrier de la poste aux chevaux. A la fin du l8e siècle, cette auberge avait appartenu à Jean-Louis Kauffmann qui, en-dehors de ses fonctions d’huissier et de rece­veur, avait été é1u député du Tiers-Etat aux Etats généraux de 1789. La rentabilité de l’auberge avait beaucoup baissé au l9e siècle à la suite de l’ouverture de la ligne de chemin de fer de Strasbourg à Saint-Louis en 1841. Aussi les héritiers durent-ils vendre la pro­priété et l’acquéreur ne fut autre que le jeune abbé Mertian pour une somme de 15.280 F., frais compris.
Qui était donc cet Abbé Mertian? En bref, voici ses origines. Jean-Jacques Eugène, de son nom de baptême, vit le jour le 9 Février 1823 au hameau d’Ehl, près de Benfeld. Il était le quatrième enfant d’une famille très honorable, installée depuis quel­ques années déjà dans les deux ailes restantes du couvent des Récol­lets d’Ehl (branche franciscaine). Le père, Ignace Mertian, était un industriel de Rouffach ; la mère Marie-Aloysia Barthelmé était de Sand. Lors de la vente des couvents comme biens nationaux pendant la Révolution française, Jacques Barthelmé de Sand pu acquérir la moitié des bâtiments d’Ehl ; il voulait les préserver de la destruc­tion. Sa fille Marie-Aloysia épousa le jeune industriel de Rouffach Ignace Mertian et le ménage s’installa à Ehl qui abrita d’abord une manufacture de tabac et devint ensuite une “fabrique de sucre de betteraves”. C’est dans ce cadre qu’on peut bien dire historique que grandit le petit Eugène dans une famille chrétienne de neuf enfants. A 13 ans, il partit faire ses études au petit, puis au grand Séminai­re de Strasbourg. Ordonné prêtre en 1845, il sera affecté, sur sa demande et celle de sa famille, à l’orphelinat du Willerhof de Hil­senheim : il y formera un groupe de Frères-éducateurs qui sera la cellule initiale de la Congrégation des Frères. Ce sera là son plus pressant objectif : organiser sa jeune famille religieuse dans laquelle il est lui-même entré sous le nom de Fr. Marie-Eugène et dont il sera le premier supérieur.
A l’étroit au pensionnat de Hilsenheim, il viendra le 7 Janvier 1862 s’installer à Matzenheim, dans l’auberge acquise. Grâce à des aménagements judicieux, la maison et les dépendances pourront accueillir les novices d’abord et, plus tard, deux classes d’externes des environs, premier noyau de l’institut Saint-Joseph, et dont le premier Directeur sera le Fr. Edouard Sitzmann, l’auteur du célèbre “Dictionnaire des Hommes célèbres d’Alsace” publié en 1909.
Le pensionnat était resté à Hilsenheim, mais la situa­tion était devenue de plus en plus précaire du fait d’un bail de location dont le terme approchait. Il fallut hâter les préparatifs de construc­tion à Matzenheim, en vue d'un transfert. Mais un intermède impré­vu, favorable en lui-même, allait retarder l’exécution du projet. Le domaine du château de Werde, à 2 km à l’Est de Matzenheim, était offert à la vente. Du château ancien il ne restait qu’un humble pa­villon, mais le potager et les vergers ainsi que la plage des baignades de l’Ill ainsi qu’un lavoir, étaient de très bons atouts et M. Mertian acheta le domaine en 1865. Le Fr. Ed. Sitzmann nous dit à ce pro­pos dans la biographie de M. Mertian “Dans le prix d’achat de 15. 000 F., le château, dans son état de complet délabrement, n’en­trait pas en ligne de compte autrement que pour la charpente et les tuiles de la toiture ». Archéologue et ami éclairé des arts, amateur passionné d’antiquités, le nouveau propriétaire sut conserver le bâti­ment à la postérité par une restauration convenable. Il a donc bien mérité de notre petite patrie, ainsi que de la Société pour la conser­vation des monuments historiques de l’Alsace dont il était un mem­bre de la première heure”.
Dans la force de l’âge, le Supérieur Mertian se li­vrait à une activité débordante dès son installation à Matzenheim la direction du noviciat, la formation des jeunes Frères enseignants pour les écoles communales et surtout la construction d’un collège pour 300 élèves. Pour les plans, il s’était assuré le concours du curé Sébastien Meyer de Zillisheim. Originaire de Balschwiller, ce prêtre courageux, qui avait une âme d’architecte, avait construit vers 1860 l’église de Zillisheim. L’évêché de Strasbourg lui confia la création du Petit Séminaire de Zillisheim qu’ il réalisa entre 1867 et 1871. Il mourra d’ailleurs, exténué par ses travaux, en 1871.
 
L’ emplacement choisi pour le Collège, c’étaient, au coeur de Matzenheim, trois grands vergers contigus. Déjà proprié­taire du premier, du domaine Kauffmann de 40 ares, le fondateur put acquérir, en 1876, non sans difficultés, les deux autres : celui de Jehl Antoine de 21 ares et celui de Kornmann Sigismond de 35 ares.
  
 
 
La construc­tion devait se réaliser en deux étapes, mais selon un même plan. Du bâtiment de 80 m sur 15 m, on construira d’abord les 2/3 sud, soit une longueur de 55 m et plus tard la partie nord de 25 m ; ceci sera fait en 1905 seulement. En Septembre 1869, les travaux de fouille d’une profondeur de 2 m commencèrent : 1600 m3 de terre à évacuer. A partir de Janvier 1870 les fondations sortent du sol. “La bénédic­tion solennelle de la pierre angulaire eut lieu le 19 Mars 1870, sous les auspices et le patronage de Saint Joseph qui en devint le patron”. (Sitzmann). La guerre franco-allemande éclata ; on était arrivé à la toiture. Les travaux, un moment ralentis, purent reprendre avec vi­gueur et à. la rentrée de Pâques 1971, le nouveau Collège put ouvrir ses portes.
 
 
 
 Le pensionnat de Hilsenheim vint s’y installer. Le site était d’un accès plus facile et le bâtiment neuf : les familles d’Alsa­ce et de Lorraine continuèrent à. envoyer leurs fils, car on savait que là on continuerait, dans la mesure du possible, à enseigner et à. parler le français, tandis que dans les écoles publiques cette lan­gue avait été complètement prohibée par le nouveau régime. Une œuvre magnifique d’éducation et d’ enseignement avait pris corps au centre de l’Alsace. Le premier Directeur sera le Fr. Hilaire Hueber de Schweighouse près Guebwiller.
Mais l’annexion de notre province par l’Allemagne amena beaucoup de difficultés. Voici un témoignage d’un élève de cette époque, Georges Barthelmé (élève de 1871-74) qui écrira plus tard : “Les relations du Supérieur Mertian avec les autorités allemandes furent correctes, mais restèrent toujours froides et réser­vées ; il souffrait beaucoup de l'annexion et ne cachait pas les senti­ments intimes qui l’attachaient à la France”. Par sa foi profonde, sa lucidité et son courage, il pourra éviter la fermeture du Collège et 1’ expulsion de la Congrégation, mais l’extension en sera fortement freinée par les luttes du funeste Kulturkampf qui devait amonceler tant de ruines dans l' Eglise, en Allemagne (Note). La Chapelle ne fut construite qu’en 1875 ; elle fut bénie le 10 Août 1876 par le Père Supérieur lui-même, entouré d’un grand nombre d’ecclésiastiques.
 
           
 
LES SERVICES ANNEXES:
 
Sous l’impulsion du vaillant Fr. Hilaire, Directeur, les services annexes se développèrent successivement : une menui­serie, une serrurerie, un grand jardin potager et surtout une belle et grande ferme modèle, construite en 1880 et fournissant au Collè­ge les animaux de trait, le lait et la viande ainsi que les, produits de la culture. Un belle équipe de Frères artisans œuvrait donc à côté des Enseignants dans les Services annexes très utiles à la vie du Pensionnat.
Usé par le travail, miné par la maladie, le R. Père Fondateur devait rendre son âme à Dieu le 20 Décembre 1890, à l’âge de 67 ans. Il fut inhumé au cimetière de Matzenheim. Ses successeurs continuèrent son œuvre. En 1904, le Fr. Hilaire fit construire la partie nord du bâtiment et acheva ainsi cette agréable façade de 80 m de long, de style classique, formant une perspective magnifique, re­haussée par le beau grès rose des fondations et des bandeaux horizon­taux marquant les étages, enrichie des encadrements élégants et dis­crets des grandes fenêtres. Sur le toit, au sommet d’un petit fronton triangulaire, la statue de Saint-Joseph rappelle toujours son heureux patronage aux habitants de la maison et au visiteur qui arrive par le joli petit parc étalant son tapis fleuri devant l’escalier d’honneur. La chronique nous dit aussi que le 16 Octobre 1938 au soir, la moitié nord de la toiture a été détruite par un violent incendie qui a ravagé quatre dortoirs. Mais le feu s’est arrêté près de la statue du Saint protecteur et, à son niveau, la Chapelle toute proche fut sauvée d’une façon étonnante.
La disposition intérieure des locaux se résume en quelques mots. Dans chacun des trois étages inférieurs un grand couloir central donne accès à toutes les pièces. Le sous-sol est ré­servé aux services de l’alimentation : cuisine, réfectoires, réser­ves et caves ; les 2è et 3è niveaux abritent la vie scolaire : l’admi­nistration et les classes. Les deux étages supérieurs sont formés de huit dortoirs totalisant actuellement 210 lits.
 
 

Note : Contrairement aux Petits Séminaires de Strasbourg et de Zillisheim qui furent fermés de 1874 à 1880, le Collège de Matzenheim ne fut pas fermé, grâce à l’intervention efficace du baron Zorn de Bulach d’Osthouse, alors mem­bre du Landesausschuss et ami de la Maison et du Père Supérieur.

LA VIE AU COLLEGE:
 
Nous pouvons nous demander comment on vivait, au temps de nos arrière-grand-mères dans une aussi grande collecti­vité de jeunes et comment étaient résolus les grands problèmes comme le chauffage, l’éclairage, l’eau courante ? Voici quelques brèves indications à ce sujet.
Le chauffage : jusqu’en 1905, toutes les pièces étaient chauffées en hiver au poêle à bois ou au charbon. Voyez les problèmes de l’approvisionnement en combustibles, de l’entretien des feux, de la propreté. En 1905, progrès inouï : tout le bâtiment fut équipé du chauffage central, un des premiers en Al­sace. Trois chaudières au coke envoyaient l’eau chaude dans près de 150 gros radiateurs en fonte qui fonctionnent encore aujourd’hui. Les chaudières ont, bien sûr, été modernisées et automatisées ain­si que les combustibles : fuel et gaz de ville. Depuis 1982, elles sont doublées par une pompe à chaleur.
L’éclairage : Pendant trente ans, les lam­pes à pétrole, les chandelles et les bougies répandirent leur lumière blafarde et fumeuse dans toutes les salles. A partir de 1901, une petite “usine à gaz”, construite sur le potager attenant, fabriquait par distillation de la houille, du gaz d’éclairage distribué dans toute la maison par des conduites semblables à la conduite d’eau. Cela devait poser bien des problèmes de fabrication et de distribution avec les becs Auer si fragiles. En 1912 commence ici le règne de l’électricité fournie par “Electricité de Strasbourg”. Une équipe d’une douzaine d’électriciens de la Société A.E.G. posa, pendant près d’un an dans tous les locaux et bâtiments, les fils conducteurs un à un dans des tubes Bergmann pour alimenter en courant de 110 V. les quelques 500 lampes installées.
L’eau courante : Jusqu’en 1905, des pompes à main débitaient l’eau, à porter à bout de bras dans les Services et les dortoirs. A partir de cette date, une pompe élévatrice, action­née par un moteur à explosion, poussait l’eau dans deux bassins ins­tallés au grenier du Collège d’où elle redescendait au service des usagers. A la même époque furent posées des canalisations et un égoût déversait les eaux usées dans le ruisseau du “Panama” à la lisière Est du village.
 
Nous sommes en 1910 ; l’internat s’est développé ; ils sont 300 élè­ves ; cela exige un service de santé adéquat. Le Frère Raymond Hennig, alors Directeur, fit construire, le long de la route natio­nale, un long bâtiment mansardé, qui devait abriter les salles des malades, le logement des Sœurs Infirmières et de nombreuses chambres pour le personnel des ateliers, de l’entretien, du blan­chissage et de la couture. Au fait, comment blanchir le linge de 300 internes qui ne rentrent en famille qu’à Noël, Pâques et aux grandes vacances ? Cela se faisait au proche domaine de Werde, près de l’Ill, où il y avait lavoir, buanderie et séchoirs dans les caves et les appentis du château. Une douzaine de lavandières des environs s’y affairaient à la lessive à la cendre de bois, au séchage et au repassage dans des conditions difficiles, surtout en hiver. Le Collège avait acheté en 1893 la petite ferme du “Judenhaus” sise en face de l’actuelle infirmerie ; la grange de cette ferme fut dé­truite par un incendie nocturne en 1910. On profita de 1’ emplacement ainsi libéré pour la construction d’une grande buanderie moderne équipée de puissantes machines à laver à tambour, d’essoreuses, de sécheuses-repasseuses qui réduisaient au cinquième la durée des opérations et les frais. Ce matériel a fonctionné jusqu’en 1964 et fut remplacé alors par des machines automatiques.
 
ENTRE LES DEUX GUERRES
 
Ces extensions des bâtiments et la nomination, en 1912, d’un Frère Directeur jeune et dynamique, le Fr. Félix BRAUN né en 1881 à Ros­sfeld, promettaient un essor nouveau du Pensionnat. Mais la premiè­re Guerre mondiale survint, avec la mobilisation des jeunes forces vives de la Communauté des Frères et les difficultés pour les famil­les. Dès 19l5 le Collège fut réquisitionné par les services de santé de l’armée allemande qui en fit un “Feldlazarett”. Quelques Frères âgés purent rester sur place avec un petit effectif d’externes.
En 1919, grande reprise avec la paix revenue et le retour des Frères sortis des tumultes de la guerre. Les problèmes de l’adap­tation de l’enseignement au nouveau régime purent être résolus sans trop de difficultés, car tous les Frères-professeurs possédaient les deux langues et les avaient enseignées sans interruption. Les effectifs grandirent rapidement.
 
 
      
 
 En 1925, ils étaient 318 internes et 34 externes, soient 352 élèves groupés dans 13 classes. Les locaux connurent peu d’extension. Cependant la chapelle, qui avait un chevet plat, fut agrandie par un chœur à déambulatoire. pour en augmenter la capacité d’accueil. Une nouvelle peinture, richement fleurie, fut réalisée par l’artiste-peintre Joseph Asal, de 1925 à 1927. L’acquisition d’une petite propriété voisine per­mit de doubler la surface des cours de récréation qui furent recou­vertes d’un très agréable revêtement bitumeux.
Dès Septembre 1939, les autorités militaire est civiles avaient in­terdit toute vie d’internat au Collège pour des raisons évidentes de sécurité. C’est pourquoi le Collège se replia sur Tournan-en-Brie en Seine-et-Marne, dans un château-foyer, avec 150 in­ternes et les Frères non mobilisés.
 
Un régiment de réservistes bretons vint occuper les dortoirs vi­des jusqu’ en juin 1940. Après 1’ effondrement, tout enseignement ayant été interdit aux Frères, les bâtiments furent réquisitionnés par les nouveaux maîtres, d’abord pour les jeunesses hitlériennes et à partir de 1943 pour les Services de santé de l’armée alleman­de. Vers la fin de la guerre, la Protection civile accueillit dans les caves-abris les vieillards des villages environnants.
 
APRES LA 2e GUERRE MONDIALE
 
La paix revint et dès 1’automne 1945, le Collège put rouvrir ses portes aux activités scolaires et à l’internat ; les effectifs étaient rapidement au grand complet. Le Frère Félix BRAUNayant été élu Supérieur Général, le Frère Jules LEHMANN, né le 14 Sep­tembre 1920 à. Leutenheim, lui succéda à. la tête du Collège en 1950. La Communauté enseignante des Frères, réduite d’abord par la mobilisation de 1939, interdite d’enseignement et dispersée en 1940, se retrouva à Matzenheim, après cinq ans d’absence, car presque tous, surtout les jeunes, avaient quitté l’Alsace pour aller enseigner dans les écoles li­bres de “l’Intérieur”, en région parisienne ou dans le Centre et le Midi. Ils revinrent, très enrichis de cette expérience et des nombreux contacts dans les paroisses qui les avaient accueillis généreusement. Après ces années de guerre où la langue française avait été totalement proscrite, les demandes d’ admission étaient très nombreuses : les jeunes voulaient apprendre ou réap­prendre la langue française ; ils s’y mirent avec une ardeur et une ténacité prodigieuses, conscients de leur retard dans cette langue et plus conscients encore de son utilité extrême dans la vie nationale et dans l’Europe de demain. Il y eut alors toute une classe d’élèves suisses et sarrois très studieux, désireux de se donner un bon atout linguistique dans la future conjoncture écono­mique européenne. Les locaux scolaires étant insuffisants, on avait ouvert trois classes au château de Werde, solution précaire, malgré le charme du site.
 
La guerre n’avait pas frappé le Collège dans ses bâtiments restés presque intacts, mais la maison-mère d’Ehl avait disparu dans les bombardements alliés de janvier 1945. La Congrégation décida d’établir son siège à Matzenheim et obtint le transfert des domma­ges de guerre d’Ehl sur cette commune. Elle put acquérir l’ancien hôtel-restaurant Hettler/Scheitel « Au Soleil d’or » en face du Collège pour y construire un nouveau pavil­lon qui aura le nom du fondateur du Collège “Eugène Mertian”. Ce bâtiment de quatre niveaux, d’abord destiné aux juvénistes, abrite depuis 1970 quatre classes, 72 lits, des salles de loisir, une chapelle, deux super­bes cours de jeux et un agréable parc bien ombragé.
 
En 1955, en plein chantier de construction, un grave accident allait. endeuiller le Collège et la Congrégation. Le R. Frère Félix BRAUN, victime d’un accident automobile le 2l juin, devait décéder le 24 Juin des suites de ses blessures. Depuis de longues années, il avait rêvé d’une vaste salle de Fête pouvant accueillir les nombreu­ses activités culturelles et les réunions multiples des élèves, des parents, des Anciens Elèves et des groupes de passage. Au Cha­pitre Général de 1955, le Fr, Jules LEHMANN fut élu Supérieur Général de la Congrégation et cumula cette fonction avec celle de Directeur du Collège. Dès 1956, il commença la construction de la Salle de Fête au fond de la cour des grands, sur les potagers qui furent transférés à l’ouest de la Route Nationale. C’est un grand et beau bâtiment qui sortit des cartons de M. H. WALKER, archi­tecte de Strasbourg. Massif et imposant par un front large et géomé­trique, le pavillon Sainte-Marie jaillit là au milieu de trois cœurs, accessible donc de tous les côtés et par de nombreuses portes. A l’intérieur, après un petit hall d’entrée, une grande et belle salle, de 25 m sur 14 m, étale son damier de dalles plastique luisantes jusqu’à l’escalier monumental de marbre comblanchien qui conduit à une grande scène de théâtre, fermée par un lourd rideau de velours rouge. La Division des 3es occupe les deux étages supé­rieurs avec 4 salles de classe et 2 salles de sciences au 1er étage. Au 2e étage, 12 boxes de 5 ou 6 lits, un peu dans les combles, mais très judicieusement et confortablement aménagés, accueillent les 70 internes de la Division. Ces deux pavillons réservés l’un aux 4es, l’autre aux 3es, ont incontestablement amené des avantages précieux dans la vie de l’internat : décongestion du bâtiment prin­cipal, création de locaux neufs mieux adaptés et de salles très va­riées pour le travail scolaire, les activités para-scolaires et les loisirs. Pour les responsables des Divisions, cette décentralisa­tion permettait une conduite plus autonome et plus souple de la vie de l’internat.
 
Une grande date dans la vie du Collège, et surtout sa gestion, fut l’application de la loi Debré en 1960. L’objectif premier de cette loi fut d’empêcher l’asphyxie et la faillite de nombreux établisse­ments privés dont les charges étaient devenues écrasantes. Le nombre des enseignants religieux diminuait rapidement ; il fallut les remplacer par des laïcs, ayant en principe charge de famille ; d’où une hausse brutale des charges salariales et donc des prix de scolarité et de pension. Ils étaient trois professeurs laïcs au Collège avant 1960. L’Etat, assurant leur salaire par une juste redistribution de l’argent des contribuables, le Frère Direc­teur dut et put engager des enseignants laïcs de plus en plus nom­breux pour maintenir l’effectif des élèves qui était alors de 350 in­ternes et 140 externes et demi-pensionnaires répartis en trois clas­ses de cours moyen et seize classes du premier cycle du second degré.
 
Ce Contrat d’Association, entré en vigueur le 1er Septembre 1960, prévoyait dans une deuxième disposition, le versement de “frais de fonctionnement” des classes. Ces frais, calculés selon des ba­rêmes nationaux, sont proportionnels au nombre des élèves. Par là. l’Etat apporte son aide pour les dépenses de chauffage, d’éclai­rage, d’entretien des classes, donc uniquement des locaux scolai­res. Mais l’Etat, versant des fonds à une institution privée, doit s’assurer du bon emploi de ces fonds ; c’est pourquoi l’Adminis­tration exerce toujours son contrôle sur l’Etablissement, d’abord par l’inspection pédagogique de l’enseignement et des programmes et ensuite par le contrôle financier de la comptabilité et des bilans. D’ailleurs les professeurs et les parents des élèves participent à la gestion de l’Institution, puisque leurs délégués siègent au Con­seil de Gestion et au Conseil d’Etablissement, organismes ges­tionnaires de l’école.
 
L’aide de l’Etat depuis 1960 a donc permis une restauration lente et un entretien plus efficace des locaux où travaillent les élèves. Les murs, les sols, les mobiliers furent rénovés. L’évolution des coûts et les conclusions d’une comptabilité analytique rigoureuse amenè­rent la Direction à. supprimer des services, autrefois rentables: la boulangerie, la boucherie et tout le train de culture. La propriété de Werde fut vendue à. cause de son entretien trop coûteux. Les pro­blèmes du Personnel devenant de plus en plus complexes, l’alimen­tation fut confiée à. une Société de Restauration. Un traiteur, sur place et dans nos locaux et avec son personnel, prépare les repas et les sert à toute la communauté des adultes et des jeunes ; ils sont environ 500 rationnaires en semaine.
Adaptation, modernisation ! Depuis 1945, le Collège, toujours au grand complet, suit les programmes officiels à travers toutes les réformes de l’enseignement. On présente chaque année une centai­ne d’élèves au Certificat d’Etudes, environ 80 élèves au B.E.P.C. et jusqu’en 1969, 15 au baccalauréat avec une moyenne de succès de 92, 7\% pour le premier 93, 1 \%, pour le second et 99\% pour le 3e examen.
La facilité des transports amena la semaine continue qui permet aux internes le séjour en famille du vendredi soir au dimanche soir. L’évolution de la société ouvrit en 1974 les portes du Collège aux filles dans les classes, non dans l’internat ; elles sont une soixantaine.
 
Mais depuis des décennies, le problème des sports et des loisirs demandait de nouvelles solutions. En 1964 déjà, un contrat avec la commune de Matzenheim avait permis la création d’un stade muni­cipal commun aux deux collectivités, doublé d’ailleurs d’un deuxiè­me grand terrain à Heussern. Mais il manquait toujours les locaux spécialisés où les trois professeurs d’éducation physique puissent faire travailler leurs élèves et les entraîner aux divers sports in­dividuels et collectifs. Enfin, en 1971, le Frère Directeur put réa­liser le vieux rêve de la construction d’un gymnase répondant aux actuels besoins des jeunes. Un hall immense de 40 m sur 30 m, en bois lamellé, couvre un vaste plateau d’évolution, entouré de tribu­nes et de locaux utiles : vestiaires, douches, W. C., dépôts de ma­tériel. Surface bien utilisée puisque toutes les classes y défilent plusieurs fois par semaine. S’y ajoutent nos équipes sportives et les écoles communales; plusieurs associations sportives viennent y disputer leurs matchs aux week-end et pendant nos vacances scolaires.
Après le cadre matériel, il resterait à parler de la vie au Collège, des méthodes, des réglements, des activités diverses, des résul­tats, etc.. . La tâche reste à faire, difficile et passionnante. Mais tel qu’il est là, cet établissement scolaire, né il y a plus d’un siè­cle, au coeur de l’Alsace, est le témoin vivant et éloquent de 1’ œuvre magnifique voulue et réalisée par son fondateur, le Supérieur Eugène Mertian. Educateur éminent, il a su obtenir la confiance de milliers de famille qui lui ont confié leurs fils. Mais il a également formé l’équipe des collaborateurs possédant non seulement sadoctrine, mais aussi son ardeur, son esprit et son âme. Les successeurs ont développé son œuvre avec maîtrise, lui donnant toute son ampleur pour réaliser les vœux du fondateur, l’adaptant aux exigences du temps et de la société, l’ancienne rigueur cédant progressivement la place à l’ouverture, à la cordialité des rela­tions, avec le sentiment et la fierté, pour les éducateurs, de l’ac­complissement d’une noble tâche réalisée en équipe avec toutes les forces constructives de l’Etablissement et dans la confiance maintenant plus que séculaire des nombreuses familles fidèles à 1’ Institution.
 
Fr. Raphaël BRAUN.
 
 
 
BIBLIOGRAPHIE
 
Œuvres historiques inédites de Ph. And. Grandidier (1867) VI page 50 et suivantes (Matzenheim)
Historisch-Topographisches Wörterbuch des Elsass v. J. Clauss (1895)
Archives de la Congrégation : “Le Chanoine Mertian fondateur et Supérieur Général de l’Institut des Frè­res de la Doctrine Chrétienne du Diocèse de Stras­bourg” par Fr. Edouard Sitzmann - Dossier 45 n° 82/C 1
Un Castel Féodal : le château de Werde et ses proprié­taires par Fr. Edouard Sitzmann.
Les Anciens de Matzenheim - Bulletin N° 9 - Juillet 1931 “Le Chanoine Mertian” page 25 et suivantes G. Barthelmé.
Ehrendomherr J.J. Eugène MERTIAN l823-1890 Ein Beitrag zur elsässichen Schul-u.Erziehungsgeschichte des 19. Jahrhunderts von Fr. X. Martz (1926)