Frère Bernard Arnold (1894-1966)

 
A mon arrivée au Collège de Matzenheim en automne 1919, le Fr. Bernard y était déjà comme professeur. Je pense n’offusquer aucun de nos anciens maîtres et édu­cateurs en disant que le Frère Bernard a été à cette époque la personnalité du Collège pour laquelle nous éprouvions le plus d’attachement et d’amitié empreinte de respect et de confiance. A son insu certes en ce qui me concerne, car je n’ai pas eu le plaisir d’être son élève. Mais en repensant aujourd’hui à ces années 1919-1922, je me souviens surtout et avant tout de ce jeune professeur, (je ne réalise que maintenant qu’il n’avait alors que 25 ans). Beaucoup d’entre nous le considéraient comme un grand frère, presque comme un camarade, sans que cela eut nui le moins du monde à son autorité qui était une de ses qualités innées. Ce qui le rendait atta­chant, c’était la liberté des relations entre lui et les jeunes pensionnaires, sa cordialité, sa franchise et son honnêteté foncière, sa façon directe de nous aborder et de nous parler. Tout cela révélait d’emblée et dès le premier contact, sous des dehors quelque peu frustes, de merveilleuses qualités de coeur. Frère BERNARD était aimé et il savait enthousiasmer.
 
Ce n’est que plus tard dans mon activité comme mem­bre de l’Amicale des Anciens et surtout au sein de l’Aca­démie du Dévouement National, que j’ai fait plus ample connaissance avec le Frère Bernard. C’est alors que j’ai eu l’occasion d’apprécier à leur juste mesure et à leur valeur la noblesse d’âme et la générosité de ce servi­teur de Dieu qui a fait tant honneur à l’Eglise, à sa Con­grégation et à son pays natal.
 
Frère Bernard était un vrai fils du Sundgau, né le 10 juillet 1894 à Kruth, «von echtem Schrot und Korn », de cette belle race d’Alsacien du Sud caractérisée par leur rude franchise, leur ténacité à toute épreuve, leur vigoureux bon sens, mais qui ont le coeur sur la main. Après ses années d’école primaire, Aloyse Arnold con­tinue ses études à Matzenheim. Puis survient la grande guerre 1914-18. Frère Bernard trouve refuge en France. La guerre finie, il s’engage définitivement au service du Seigneur par la profession religieuse. Il est appelé suc­cessivement à Mulhouse, Sigolsheim, Reichshoffen pour tenir les classes primaires, avant de venir à Matzenheim où il devait rester jusqu’à sa nomination comme Directeur de l’œuvre de rééducation à Zelsheim, en 1935.
 
La deuxième guerre mondiale sonna l’anéantissement brutal de cette œuvre à laquelle le Frère BERNARD s’était si totalement consacré. L’invasion de 1940 amena les propagandistes d’un nihilisme néo-païen qui considé­raient la charité chrétienne comme une faiblesse et une lâcheté. L’internement au Camp de Schirmeck, puis l’ex­pulsion hors de la terre natale furent le merci de l’enva­hisseur totalitaire pour cet apôtre de la jeunesse et de ses confrères. Mais la terrible épreuve ne réussit pas à ébranler la confiance et la ténacité de notre cher Frère Bernard. Il rassembla d’abord une trentaine, puis bientôt une centaine de ses anciens pensionnaires à Tré­lissac en Dordogne. Là, son courage, son dévouement et son abnégation, mais aussi sa ruse et son astuce trou­vèrent l’occasion de s’exercer et de s’épanouir, toujours pour le bien du prochain. De nombreux compatriotes juifs lui restent reconnaissants de les avoir sauvés de la torture et de la chambre à gaz.
De retour en Alsace, c’est la direction du Centre Mertian à Andlau qui absorbe toute son activité. ll en fait un centre modèle tant par son organisation, son installa­tion, son enseignement que par les résultats remarquables obtenus sur le plan de l’éducation. L’œuvre d’Andlau est appréciée par tous — éducateurs, médecins, magis­trats, psychologues — tant on peut y voir une jeunesse épanouie.
 
Ehl enfin deviendra le couronnement de la carrière de Frère BERNARD. Sa réussite sera éclatante et la jeu­nesse qui lui sera confiée aura l’immense avantage de bénéficier de sa vaste expérience qui s’étend non seule­ment à l’instruction et à l’éducation, mais aussi aux sports, à la musique et au chant. Sous sa direction les «Rossignols d’EHL» deviennent une des chorales scolai­res les plus réputées de la région.
 
Les autorités reconnaissent et récompensent les méri­tes du Frère BERNARD. De multiples distinctions lui sont décernées (Chevalier de la Santé Publique, Médaille de l’éducation surveillée, Palmes académiques, Médaille d’argent de l’Education Physique et du Sport). J’en oublie peut-être. Pour ma part, j’ai la joie de lui remettre les plus hautes distinctions que l’Académie du Dévouement National est en mesure d’attribuer et c’est la veille de sa mort que j’ai l’insigne honneur de le décorer de la Cravate de Commandeur.
 
Qu’il me soit permis de citer en conclusion ces paroles que j’ai prononcées à ses obsèques, le 13 février 1966, devant une assistance nombreuse et attristée
 
«Caractère bien trempé, qualités de courage, de dé­vouement, de persévérance, vie consacrée entière­ment et avec une totale abnégation au service de Dieu et des hommes, en particulier à la jeunesse, vaste expérience mise au service de l’instruction et de l’éducation, réussite exceptionnelle... tout cela résonne comme une citation à l’ordre de la nation. .
 
Il n’y a qu’à ajouter que e Frère BERNARD est mort sur la brèche, en plein travail pour son idéal, comme il l’avait toujours souhaité.
 
Nous chrétiens, qui savons que la mort terrestre n’en­lève pas la vie, mais la transforme, nous avons l’espéran­ce et la certitude de revoir notre cher disparu et c’est pourquoi je lui dis : « Au revoir, Frère Bernard, et MERCI".
 
Fernand MULLER
Bergheim