Frère Edouard SITZMANN (1836-1918)

Certes, ïl n’a pas gagné des batail­les politiques et n’a pas marqué son temps par des exploits ad­ministratifs: il n’a été qu’un religieux consciencieux, un in­stituteur et un éducateur bien humble et caché”. Mais il a su mener à son terme une entreprise remarquable, le “Dictionnaire des Hommes Célèbres d’Alsace”, une oeuvre qui continue à perpé­tuer son nom.

ENFANT DE WETTOLSHEIM - HAUT-RHIN

François Ignace Sitzmann naquit le 30juillet 1836, à Wettolsheim, près de Colmar. Fils de Joseph Sitzmann, viticulteur, et de Thérèse Renz, il grandit dans une famille chrétienne où la pri­ère et le travail étaient à l’honneur. François Ignace héritait d’un :tempérament ardent et rude, d’une volonté opiniâtre et d’une jovia­lité qui caractérisent la population du vignoble.
Pour comprendre la suite et plus particulièrement l’orien­tation que prendra le jeune Fran­çois Ignace, il faudrait tenter d’évoquer le climat social, culturel et religieux de la commune et de la paroisse de Wettolsheim vers les années 1850, 1860.

Le village s’est peuplé consi­dérablement depuis 180k; la popu­lation a passé de 1200 à 1600 habitants. L’église ainsi que l’éco­le sont devenues trop petites. Le maire, Mr. Brucker, appuyé par son Conseil municipal, et Mr. le Curé ch. Dinsenhoffer élaborent des projets d’agrandissement.

Le zèle pastoral de l’abbé Din­senhoffer marquera la paroisse pendant 46 ans, de 1829 à 1875. De même se fera sentir l’influence des Sœurs de Portieux (1830-1870).
Admirable éveil de vocations religieuses et sacerdotales~ parmi les jeunes! Les 120 garçons de l’Ecole communale réclament une vaillan­te équipe d’enseignants et d’éducateurs, car l’instituteur Mr.Venson, frappé de surdité, doit arrêter ses fonctions.

C’est alors que, d’un commun accord, maire et curé décident de faire appel aux Frères de la Doctrine Chrétienne. Ces derniers con­stituent une Congrégation venant d’être fondée depuis cinq ans parle jeune Abbé Eugène MERTIAN. Les Frères dirigent déjà à l’époque les écoles primaires communales de Sigolsheim, d’Ottmarsheim, de Fréland et de Merxheim, L’année 1850 verra s’ouvrir les écoles de Zillisheim:et de Wettolsheim.
Hâtez-vous d’arriver; nous vous fournirons les lits et l’a­meublement”. C’est par ces mots, entre autres, que Mr. le Curé Dinsenhoffer, s’adresse au Supérieur Eug. Mertian, dans une lettre du 14 no­vembre 1850. Cinq jours plus tard, le 19 nov., trois Frères sont ac­cueillis à Wettolsheim, par une population enthousiaste. Une très jeu­ne équipe : Fr.    Simon NAEGERT (20 ans) -Fr. Jean AMANN (18 ans) - Frère Charles GIER (34 ans).

La présence des Frères ne va pas tarder à porter ses fruits. Les vocations fleurissent : André MULLER, futur curé-Doyen de Sierentz, François Xavier SCHOEPFER, futur évêque de Tarbes et de Lourdes. Les jeunes se sentent attirés tout autant par la vocation de Frère-Ensei­gnant et sollicitent leur admission dans la nouvelle Congrégation al­sacienne. Citons quelques noms : J.B.BUTTERLIN qui prendra le nom de Frère François – Jos.BRENDEL (Frère Louis) - François Xavier HEINRICH (Fr. Emile) - Xavier HAEFFELIN (Fr. Charles) - François-Joseph SCHAFFHAU­SER (Fr. Marcel) - François Ignace SITZMANN qui prendra le nom de Fr. Edouard,

POSTULAT ET NOVICIAT A HILSENHEIM

En 1852, François Ignace Sitzmann fait ses adieux, quitte sa famille et son village natal. A 16 ans, il entre au Postulat des Frères, étab1i alors à la “ Providence” de Hilsenheim (Bas-Rhin). Il y fait connaissance avec un jeune homme, d’un an. Plus âgé que lui, Gabriel Hueber qui, lui aussi, vient de faire sa deman­de d’entrée au noviciat. Entre les deux jeunes gens naîtra une amitié exceptionnelle: ils se soutiendront mutuellement pendant plus de 50 ans, à travers d’innombrables épreuves.

A la “ Providence “ de Hilsenheim, notre jeune François Ignace découvre un monde absolument nouveau, Une douzaine de grands adolescents se font instruireet guider dans les voies de la vie spirituelle, rassemblés autour d’un jeune abbé qui porte le nom de Frère Eugène MERTIAN. Ils se nomment tous “ Frères” entre eux et vi­vent une vie de famille, dans l'enthousiasme d’un grand idéal apos­tolique. « La belle Province d’Alsace est la portion de l’héritage du Seigneur qui nous est dévolue. C’est la terre des Arbogast et des Florent que nous sommes appelés à féconder de nos travaux apostoli­ques et de nos sueurs.” aimait répéter Eug. Mertian “ Nous sommes Frères par la grâce de Dieu, par les vœux et par les liens de cha­rité qui nous unissent mutuellement en quelque lieu et en quelque circonstance où nous nous trouvons.”

On vivait alors bien pauvrement à Hilsenheim. Temps héroï­ques d’une Congrégation naissante. Ces conditions pénibles aurai­ent pu décourager les postulants et les novices. Mais l’entrain, la bonne humeur, l’esprit fraternel, la ferveur et les études aussi ap­portaient au groupe un contrepoids spirituel précieux.
Frère Edouard Sitzmann gardera de ces années-là un souvenir des plus radieux. L’expérience de la “ Providence" à Hilsenheim sera décisive pour lui, si bien que, quarante ans après, il écrira ces lignes : “Le jeune Supérieur, Eug. MERTIAN, travailla avec ardeur à former à la vie religieuse les jeunes gens qui affluaient de toutes parts. Il voulait en faire de bons instituteurs, d’excellents organistes. Les études étaient en grand honneurs. Aux examens officiels du. brevet, nous emportions les premières places”.

Après deux années d’études, François Ignace entre au Novi­ciat et prend le nom de Frère Edouard. Le voilà, pour de bon, à l’école du jeune Fondateur. Celui-ci n’a pas encore rédigé des Règles et des Constitutions, mais ses orientations tracent un chemin clair. “Votre Règle c’est l’Evangile. Notre-Seigneur Jésus-Christ est vo­tre chemin et votre guide. Revêtez.-vous de Lui. Devenez ses membres vivants; ne faites qu’un avec Lui; marchez en sa présence et entrez dans ses dispositions.” Conduit par un tel maître spirituel, le jeu­ne Frère Edouard décide de s’engager au service du Christ. En 1855, il fait sa première profession religieuse. Pendant deux ans encore, il consacre son temps aux études. Il remporte avec succès les épreuves du Brevet dans les matières obligatoires, puis, en 1856, couronne ses études en obtenant le Bre­vet dans les matières facultatives.

Il est à noter que Frère Edouard verra encore l’ouverture du “ PEN­SIONNAT PRIMAIRE AGRICOLE” à Hilsenheim. Cette création audacieuse le marquera profondément, lui que son Supérieur enverra bient6t pour la fondation de plusieurs écoles. En effet, le « Pensionnat agricole » représente une nouveauté pour le pays. L’œuvre répond à un besoin de l’époque. En l’espace de 5 ans, l’effectif des élèves passe à 250pensionnaires. De milieu rural, les jeunes de 13 à 18 ans, viennent compléter leur formation générale et s’initient en plus à l’agrono­mie, à l’arpentage, à la mécanique, au droit commercial et à la comptabilité.

L’ambition d’Eug. Mertian et de son équipe de maîtres est de préparer une élite professionnelle agricole et artisanale pour nos campagnes, sans oublier la formation d’une élite chrétienne pour nos paroisses. Ainsi, de part son origine, Fr. Edouard Sitzmann s’enthou­siasme pour une telle œuvre. Il s’attend à y prendre des responsabilités. Mais une autre activité lui sera confiée : celle de maître et de directeur d’école communale, car le Supérieur des Frères est assailli de demandes répétées et pressantes.

UNE CARRIERE DE PIONNIER : 
FRERE EDOUARD SITZMANN, FONDATEUR ET ANIMATEUR D’ECOLES PRIMAIRES COMMUNALES

Avant de parler de son activité d’historien, voyons-le au travail, comme enseignant, éducateur, fondateur et animateur d’écoles. Il importe de te­nir compte du contexte de l’époque: le maître d’é­cole représente alors une personnalité de premier plan à la campagne; l’instruction publique connaît un essor sans précédent; les équipements scolaires préoccupent les municipalités.

Frère Edouard Sitzmann enseigne d’abord comme maître-adjoint à Huningue dont l’école vient d’être prise en charge par les Frères en 1853. Nous le trouvons ensuite à Merxheim, de 1857 à 1860. Pendant ces quatre années il se fait la main dans l’art d’enseigner. En mê­me temps il découvre un certain vide culturel et religieux et s’em­ploie à y chercher remède. Il crée un cours d’adultes et reçoit les félicitations et les encouragements des autorités académiques.

Fr. Edouard n’a que 22 ans, mais déjà se manifeste chez lui un vif intérêt pour l’Histoire. La monographie de tel ou tel villa­ge le tente. Il recueille des notes sur le rayonnement de l’abbaye de Murbach et sur l’une ou l’autre grande personnalité de l’Histoire d’Alsace. La future œuvre du Dictionnaire des Hommes Célèbres com­mence en humble source, perdue dans les mousses d’une sombre forêt vosgienne. Nos archives conservent de cette période un document cu­rieux: il s’agit d’une lettre de Fr. Edouard Sitzmann à sa Majesté L’Empereur Napoléon III. Au nom de la commune de Merxheim, lui, in­stituteur, félicite l’Empereur d’avoir échappé à l’attentat de jan­vier 1858 et d’avoir signé l’honorable paix de Villafranca. NOVEMBRE 1860. Frère Edouard Sitzmann, répondant aux vœux de son Supérieur, s’installe à Reichshoffen et ouvre la nouvel­le Ecole des Garçons. Lorsqu’après deux ans il a pris son rythme de croisière, il part pour une nouvelle aventure. En 1863, il est nommé Directeur à Matzenheim où, dans l’ancien Hôtel des Deux Clefs, s’ou­vre un externat de 30 élèves, des jeunes originaires des villages en­vironnants. Il s’agit de préparer le transfert du Pensionnat agrico­le de Hilsenheim à Matzenheim, une localité plus accessible par la route et la voie ferrée. Avec le P. Fondateur Eug. MERTIAN et Fr. Hi­laire Hueber, Fr. Edouard élabore le projet du futur pensionnat. Cette tâche achevée, après deux années de séjour à Matzenheim, le pionnier est encore appelé ailleurs.

FEVRIER 1865. Fr. Edouard prend en charge la direction de l’Ecole Communale de St Jean, près de Saverne, Mr le Préfet Migneret vient de signer sa nomination, sur proposition du P. Supérieur,

Puis Fr. Edouard Sitzmann dirige successivement : l’école de la ville de Boersch (1866-1867) - l’école de Zillisheim (1867-1889) - celle de Brumath (1889-1901) On remarquera sa stabilité aux deux derniers postes : 22 ans à Zillisheim - 12 années à Brumath. Est-ce une soudaine accalmie de l’âge ? Non ! L’explication est à trouver dans un changement de régime politique. D’abord, dans un changement de situation ensuite. L’Alsace est passée sous administration allemande. Le “Kulturkampf” de Bismark fait barrage à l’influence congréganiste dans l’enseignement et l’éducation. A ces difficultés s’ajoutent main­tenant de sérieuses difficultés d’effectifs : un certain nombre de Frères ont opté pour la France, après 1871, et vont ouvrir des écoles dans le Nord à SOMAIN, SOLESMES et LANDRECIES, de même en Région parisienne, à CHAENTON, à PUTEAUX et à BOULOGNE-SUR-SEINE.

Mais la soudaine stabilité de Fr. Edouard Sitzmann s’explique autrement encore. La malheureuse guerre de 1870 et l’annexion de l’Alsace-Lorraine ont meurtri ses sentiments patriotiques. Il prendra en quelque sorte sa revanche, une revanche à sa façon, en concevant le projet d’un Dictionnaire en langue française, à la gloire des hommes célèbres d’Alsace. C’est à Zillisheim, puis à Brumath surtout qu’il trouvera, à côté de son travail d’enseignant, le temps d’étudier ­et d’écrire. Des années particulièrement fécondes qui semblent domi­nées par son “défi alsacien”. Ainsi, coup sur coup, il publie ses premiers ouvrages. Après une « Petite Histoire de Belfort » (1873-1874) paraît, en 1878 l’  « Aperçu sur l’Histoire politique et religieuse de l’Alsace ». Cinq années plus tard, en 1883, « L’Histoire du village de Zillisheim » oriente vers lui l’attention des chercheurs. Lorsque Fr. Edouard prend la direction de l’école de Brumath, il a 53 ans. Rompu aux secrets du métier d’enseignant, au niveau des classes du primaire, il trouve assez de loisirs : pour continuer ses travaux d’historien. La proximité de Strasbourg favorise ses visites àla Bibliothèque universitaire et aux Archives.

UNE RETRAITE STUDIEUSE

1901. Fr. Edouard Sitzmann, libéré à 65ans de ses soucis de directeur d’école, se retire àEhl-Benfeld, dans le calme de la Mai­son-Mère, Il entre désormais dans sa retraite studieuse pendant près de 17 années. Maintenant le « Dictionnaire des Hommes Célèbres » ac­capare tout son temps et toute son attention. En 8 ans, l’ouvrage prend forme et peut paraître en 1909,

A partir de l911, les soucis d’argent, causés par l’édition as­sombrissent quelque peu ses vieux jours. Mais il ne relâche pas ses recherches. Il explore maintenant les archives de la Congréga­tion et rassemble les documents et les notes en vue d’un ouvrage àla mémoire du Père Fondateur, Eug. MERTIAN. Ses forces diminuent sen­siblement. Les évènements de la guerre (l9l4-19l8) l’attristent. Mais il ne cesse de prédire l’armistice et l’entrée des troupes françai­ses  àStrasbourg.

Il ne verra pas la réalisation de ses vœux. Pendant l’hiver1917-1918, des signes de déclin de sa santé se multiplient. Il rend son âme à Dieu, le 2 février 1918.

IL fut enterré dans le petit cimetière d’Ehl. A son humble cortège manquaient nombre de ses confrères, de ses amis et de ses anciens élèves qui étaient alors blottis dans les tranchées du front, en ce rude mois de février 1918.

 

Extraits de "FR EDOUARD SITZMANN" de Fr. Denis Joseph SIBLER,
paru en 1984 dans l"Annuaire de la Sociéié d'histoire des Quatre Cantons"